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MICHEL-ANGE.

devanciers nous ont laissée, de présenter enfin au public français un portrait qu’il ne connaît pas encore et que ce terrible Buonarroti n’eût ni mieux sculpté ni mieux peint qu’il ne l’a écrit de lui-même :

Ipse ipsum.

N’est-ce pas ce même Michel-Ange de la ligne sobre et des profondes conceptions qui, passant, un jour, par les Loges Vaticanes où Raphaël et ses élèves travaillaient, traça, en leur absence, une figure au charbon, une seule, d’un trait large et nerveux, comme pour servir de leçon à des amateurs d’arabesques sans forme humaine, qu’on appelait alors bien significativement des Grotesques ?

L’histoire ne dit pas que les peintres survenant ne profitèrent de la leçon. Les historiographes de Michel-Ange ne devraient pas, non plus, l’oublier. Pour notre part, nous nous en souviendrons, au cours des pages qui vont suivre et où ce maître des maîtres en viendra jusqu’à écrire que, « si Raphaël lui-même a su quelque chose, il ne l’a appris que par lui », ce Michel-Ange redoutable et dédaigneux des plus grandes puissances de ce monde, comme il le fut de sa propre faiblesse, qu’il prit si souverainement en pitié.


II

Les livres ont quelquefois leur bonne fortune, s’ils ont souvent leur mauvais sort. Pour donner une compréhension générale de l’Épistolaire qu’en va lire et de la longue existence du Maître qui l’écrivit, nous allions entreprendre un Essai sur la vie et l’œuvre de Michel-Ange, et, de tous les ouvrages sérieusement documentés sur lui, nous avions surtout consulté les écrits de deux de ses contemporains qui furent ses amis et ses confidents, Giorgio Vasari et Ascanio Condivi, quand nous eûmes à constater l’étonnante et presque incroyable lacune d’une traduction française du texte italien de ce dernier dont nos Bibliothèques nationales et privées sont totalement dépourvues, jusqu’à cette heure. Pour si intéressante que paraisse la Vita di Michelagnolo Buonarroti que Vasari publia en 1550, — soit treize ans avant la mort du maître que ce peintre médiocre, s’improvisant meilleur écrivain, venait de connaître à peine, si nous en croyons sa première lettre écrite à Michel-Ange, le 22 août 1550, à propos d’une peinture dont il voulait obtenir la commande au tempietto de San-Pietro-in-Montorio, — vaut-elle celle qu’en écrivit l’élève le plus affectionné du Buonarroti, avec les confidences que lui avait sans doute réservées son difficile maître ? Et cependant, pour tant d’éditions successives qu’ait obtenues le texte originairement écrit par Vasari, d’après celui dont le jeune et libéral Condivi avait dû confier le manuscrit à ce nouvel ami de son maître (voir le chap. LXIX, où il dit : « J’ai dû publier cet écrit — 1553 — quand j’ai appris que certains à qui j’avais confié ces notes, voulaient se faire l’honneur de profiter de mes fatigues » ), cette autre Vita di Michelagnolo Buonarroti recueillie par le délicieux autant qu’obscur auteur d’une autre nouvelle Légende dorée, en était restée à ses trois premières éditions d’un texte connu des seuls lecteurs de la langue italienne [1]. Non bramo altr’esca, dit, dans son fleuron, le

  1. I. — Vita di Michelagnolo Buonarroti racontée par Antonio Condivi de la Ripa Tran-