Alors le cardinal d’Agen manda, pour me presser, Messer Francesco Pallavicini, qui est aujourd’hui évêque d’Aléria. Celui-ci vit à l’atelier tous les marbres et les statues ébauchés pour le tombeau : — ils y sont encore aujourd’hui. Voyant les travaux que je faisais pour cette sépulture, (le cardinal ) Médicis, qui était à Florence, ne me laissa pas continuer : et ainsi j’en fus empêché jusqu’à ce que (le cardinal) Médicis devînt (le pape) Clément, à tel point qu’en sa présence fut rédigé le dernier contrat de ce tombeau, où il fut stipulé que j’avais reçu les mille ducats que l’on dit avoir été prêtés par moi à usure. Je veux même confesser un péché à Votre Seigneurie. Pendant que j’étais à Carrare, où je restai près d’un mois pour ce tombeau, comme l’argent me manquait, je dépensai, pour les marbres de cette œuvre, 1.000 écus que m’avait envoyés le pape Léon (X) pour la façade de Saint-Laurent ou pour me tenir occupé (loin de Rome). Je lui en fis paroles pour lui en soumettre les difficultés, et je ne le fis que pour l’amour de l’œuvre que j’avais entreprise. Et, aujourd’hui, j’en suis payé en m’entendant appeler voleur et usurier par des ignorants qui n’étaient pas, alors, de ce monde. Je vous écris cette histoire, Monseigneur, parce que j’ai à cœur de me justifier par elle auprès de vous, comme auprès du pape à qui on a médit de moi, selon ce que m’écrit messer Pier Giovanni, qui a eu à me défendre, ajoute-t-il. Je l’écris aussi pour que, lorsque Votre Seigneurie verra l’occasion de pouvoir dire un mot pour ma défense, elle le fasse. Car j’écris ici la vérité. À la face des hommes, — je ne dis pas devant Dieu, — je me tiens pour un homme de bien, parce que je n’ai jamais trompé personne, et aussi parce qu’à me défendre contre les méchants il faut parfois que je devienne fou, comme vous le voyez. Je prie Votre Seigneurie, quand elle en aura le temps, de lire cette histoire et de me la conserver, et de retenir qu’il est encore des témoins pour affirmer la vérité de grande partie des choses qui sont écrites ici. Je serais heureux que le pape la connaisse, et aussi tout le monde ; parce que ce que j’écris est vrai et que je suis, non un voleur usurier, mais un citoyen de Florence, noble et fils d’homme de bien, — et non pas issu des Cagli !
Quand j’eus écrit ceci, je reçus un message de l’ambassadeur d’Urbin disant que, si je voulais que la rectification fût faite, il faudrait que j’y accommodasse aussi ma conscience. Ma réponse est qu’il sait se fabriquer un Michel-Ange dans son cœur, avec cette matière dont il est fait lui-même.
S’il vous faut continuer encore l’histoire de ce tombeau du pape Jules, je peux vous dire que lorsque celui-ci changea de fantaisie, — c’est-à-dire de le faire, sa vie durant, comme je l’ai déjà dit, — alors que les barques chargées des marbres que j’avais commandés à Carrare venaient d’aborder à Ripa, et que je ne pouvais obtenir de l’argent du pape qui se repentait de cette œuvre, il me fallut, pour payer les bateliers, trouver 150 ou mieux 200 ducats. Je me les fis prêter par Balthazar Balducci, banquier de Messer Jacopo Gallo. Et, comme arrivaient aussi en ce temps-là, de Florence, les marbriers que j’avais embauchés pour cette sépulture, — et il en est encore de vivants, — ayant moi-même fourni les lits et autres ustensiles pour les hommes du carré ainsi que toutes autres choses nécessaires au travail du tombeau, dans la maison que m’avait donnée le pape Jules derrière Sainte-