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meneurs, s’avance sans bruit à la faveur des ténèbres avec un fardeau recouvert d’une toile grise ; c’est un fardeau qui se meut et qui respire ; bientôt les flots le reçoivent, et le linceul s’enfonce dans l’abîme. La vague s’écoule comme si aucun crime n’avait été commis ; elle continue à jouer avec les pâles rayons de la lune, et le gondolier regagne en silence le rivage qu’il a quitté. Que de femmes musulmanes ou chrétiennes ont ainsi disparu dans les eaux du canal ! Que de victimes ont été ainsi immolées par l’intrigue, la jalousie ou la vengeance ! Ces horribles secrets ne sont confiés qu’aux ténèbres de la nuit et aux profondeurs du Bosphore. Quand les coupables viennent respirer sur ces bords le parfum des fleurs et la fraîcheur de la brise, ne craignent-ils jamais que de pâles images ne sortent du sein des flots pour les accuser ou les maudire ?

Mais pourquoi rappeler le deuil ? Pourquoi me laisserai-je attrister par la vue du cyprès quand le myrte est là qui fleurit sous mes yeux ? Les rivages du Bosphore m’ont rendu la santé, et avec elle le courage et la joie de l’esprit. Je veux écarter toutes les pensées mélancoliques, tous les souvenirs affligeans. D’ailleurs quel coin de terre ne recèle point de noirs secrets ? il y a des larmes à verser et des victimes à plaindre partout où l’homme a passé.

Je fais chaque jour de nouvelles promenades à cheval ou dans un caïque ; les vingt-huit villages