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Thrace ; de l’autre, elle répandait mille fables qui remplissaient d’effroi l’âme des navigateurs. La nature elle-même semblait changer ses lois pour rendre cette mer plus terrible ; on croyait voir les deux Cyanées se rapprocher comme par miracle pour défendre l’entrée de l’Euxin. Aussi les côtes voisines de l’embouchure étaient-elles couvertes d’autels élevés aux dieux. Ces rivages étaient réputés sacrés et n’entendaient guère d’autre bruit que celui de la tempête, ou celui de la prière dans les temples de Jupiter et d’Apollon. Le navire argo qui le premier s’ouvrit un passage à travers ces abîmes inconnus, dut vivement frapper l’imagination des peuples. Les Argonautes n’allaient pas uniquement à la conquête d’une toison d’or, mais ils rêvaient pour le commerce grec un nouvel empire, et Jason, avec son ancre de pierre, fit pour son siècle ce qu’a fait Vasco de Gama pour l’Europe moderne. Mais les Argonautes n’eurent point pour eux la lyre d’Homère ; les chants d’Apollonius, de Valérius Flaccus, d’Onomacrite, d’Hésiode, d’Epiménide et de Pindare, n’ont point suffi pour que l’expédition de Jason devînt, comme la guerre de Troie, l’éternel entretien des siècles.

Maintenant les flots, en s’échappant de l’Euxin, ne baignent plus que des rivages solitaires. Les dieux sont morts, leurs temples ne sont plus que de la poussière que les vents emportent dans le Bosphore, et personne ici ne songe à Apollon ni à