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ne sais quelle tristesse nous suit jusque sur les chemins de la victoire, et tout ce que la nature et la douleur ont mis de mélancolie au fond de notre âme, nous paraît un avertissement, et prend a nos yeux le caractère d’une prophétie[1].

Toutefois, je veux écarter de moi ces images sinistres car j’ai besoin de tout mon courage pour achever mon entreprise. Je reviens donc à mon itinéraire. Nous allons maintenant à Navarin, si nous en avons le temps, nous visiterons une partie de la Grèce — nous nous rendrons ensuite à Smyrne et à Constantinople d’où nous partirons pour Jérusalem. Je ne désespère pas de voir les côtes de la Syrie, et de suivre saint Louis sur les bords du Nil. Je sais que le projet de ce voyage lointain a étonné plusieurs de mes amis et je vous avoué qu’il est des momens où je partage leur surprise. Après avoir travaillé vingt ans à terminer l’Histoire des Croisades, le repos semblait mieux me convenir qu’un long pèlerinage. Je me compare quelquefois au ver qui file la soie et qui sort du tissu qu’il a péniblement formé, pour prendre son essor et fendre l’air avec ses ailes. Le ver industrieux trouve ordinairement le trépas où la gloire semblait l’attendre il peut fort bien m’en arriver autant ; mais j’aurai du moins

  1. Plusieurs fragmens de cette correspondance ont été imprimés dans les journaux, à l’époque où j’ai écrit mes lettres ; on peut y voir les mêmes pressentimens.