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COR étant devenue vacante, il en fit la demande à la fondatrice, qui seule pouvait en disposer : s’il ne l’obtint pas, c’est parce qu’il refusa de souscrire à la ridicule condition que cette dame lui imposait, de prendre perruque ; et pourtant il était encore à cette époque dans un état voisin de l’indigence. Plus tard, il fut bien dédommagé par sa nomination à la place de suppléant de l’illustre Desbois de Rochefort, qui jetait alors les fondements d’une clinique médicale à l’hôpital de la Charité. Une mort prématurée ayant enlevé ce professeur, Corvisart le remplaça en 1788, et continua d’une manière brillante les cours de son maître ; ce qui lui valut, en 1795, lorsque l’Ecole de médecine fut créée, la chaire de clinique interne. Deux ans après, il fut nommé professeur de médecine pratique au collège de France. Corvisart remplit ces deux chaires de la manière la plus distinguée, non seulement par l’étendue et la profondeur de ses connaissances médicales mais encore par la facilité de son élocution. Il avait surtout un tact extraordinaire, une sagacité merveilleuse pour fixer le diagnostic des maladies. Cet avantage, qui donne tant de supériorité au véritable médecin sur le vulgaire, Corvisart le devait et à la perfection de ses sens et à l’éducation qu’il leur avait donnée. Aussi faisait-il sentir fréquemment à ses élèves l’indispensable nécessité d’appliquer sans cesse à la connaissance des maladies l’exercice de la vue, de l’odorat, du toucher et surtout de l’ouïe, dernier sens qui, depuis vingt-cinq ans à peine, secondé par le toucher, remplace, pour ainsi dire, l’œil, et permet de lire dans les profondeurs de l’organisation. Lorsque le général Bonaparte, devenu premier consul, chercha à s’entourer de toutes les illustrations de la France, il voulut choisir lui-même un médecin auquel il pût accorder toute sa confiance. Malade à cette époque, et peu content du docteur Sue, dont les soins ne le guérissaient pas, il appela successivement Pinel, Portal et Corvisart. Le premier consul avait certainement de l’estime pour les deux premiers, mais il donna la préférence au dernier, quoique plus jeune, parce qu’il fut frappé de la méthode avec laquelle Corvisart examina sa personne. Celui-ci, en effet, interrogea avec le soin le plus minutieux tous les organes les uns après les autres, en employant surtout la percussion qui lui était si familière, et il découvrit que le premier consul était atteint, non d’une gale répercutée, comme le bruit en avait connu, mais d’une affection gastrique, qui devait, vingt ans plus tard, devenir fatale au malade, en prenant une dégénération cancéreuse. S’il est vrai que le choix du premier consul fut un bonheur pour lui, on ne peut douter que ce fut une perte pour la science ; car, à dater de cette époque, des devoirs nouveaux, impérieux, éloignèrent Corvisart de l’enseignement ; et il ne garda plus que le titre de professeur honoraire de la Faculté de médecine et du collège de France. Cependant il sut se ménager quelques loisirs, dont il profita pour mettre en ordre et publier les résultats de son expérience. Dès l’institu- COR 285 tion de la Légion d’honneur, en 1803, fut créé officier de cet ordre, puis baron de l’empire et commandeur de la Réunion. Ses travaux lui ayant ouvert en l8ll les portes de l’Institut (académie des sciences), il y communique un Mémoire où il proposait pour sujet de prix cette question : De sedibus et causis morborum per signa diagnostics investigatis, et par anatomen confirmatis. Lorsqu’en 1820 Louis XVIII créa l’Académie de médecine, Corvisart en fut nommé membre honoraire. Il était correspondant de la plupart des sociétés savantes de l’Europe. Parvenu à la fortune, il en fit un noble usage, et n’oublia point ses amis. Ses libéralités s’étendirent sur plusieurs établissements : c’est ainsi qu’il dota la bibliothèque de la Faculté de médecine d’une grande quantité de bons livres ; qu’il fit placer l’horloge que l’on remarque dans la galerie d’exposition ; qu’il fit graver le grand jeton à la tète d’Hippocrate et le petit jeton à la tête d’Esculape ; qu’il fonda un prix en faveur de la Société d’instruction médicale. C’est par son crédit et à sa demande que fut érigée dans l’Hôtel-Dieu une pierre monumentale à la mémoire de son ami Desault, et à celle de Bichat, enlevé de si bonne heure à la science. En 1815, Corvisart eut une attaque d’apoplexie, dont il ne se releva jamais complètement. Tout en conservant ses facultés intellectuelles, il traina une santé délabrée jusqu’en l821, où il termina sa carrière, le 18 septembre. On a quelquefois représenté Corvisart comme un homme livré aux dissipations du monde : il devait sans doute prendre de temps en temps quelques distractions ; il n’en est pas moins vrai qu’il avait un caractère morose et mélancolique. « Le Mérou de Voltaire, disait-il, avait perdu l’œil qui voit le mauvais côté des choses ; je suis borgne comme lui, mais c’est l’autre œil que j’ai perdu. » Corvisart avait l’esprit cultivé. Malgré sa tristesse habituelle il faisait ses délices de Virgile, de Voltaire et de Molière ; il savait par cœur presque tout le premier ; quant aux deux autres, il les lisait presque jou1·bellement pour chasser l’ennui et se délasser de ses fatigues. Ce grand praticien porta à la cour de Napoléon la droiture et la dignité dont son caractère était empreint. Un jour, il reçut, sans s’y attendre, des mains de l’empereur le brevet d’une place à laquelle son frère était nommé : « Permettez, s’écria-t-il, que je refuse pour mon frère : la place exige une capacité qu’il n’a pas ; je sais qu’il est pauvre, mais ça c’est mon affaire. » Le ministre qui avait fait le travail était présent : l’empereur se tourna vers lui, et dit : « En connaissez-vous beaucoup comme celui-là ? » Dans une autre circonstance, Napoléon s’expliqua ainsi sur le compte de Corvisart : C’est un honnête et habile homme, seulement un peu frusque. » D’où l’on peut conclure qu’au milieu de la cour impériale si soumise, Corvisart était du très-petit nombre de ceux qui y avaient conservé leur liberté. Voici la liste de ses ouvrages : l° Eloge de Desbois de Rochefort, lu à la séance de