nation sont menacés dans leurs personnes ; dés qu’ils ne jouissent pas, dans leurs délibérations, de l’indépendance la plus absolue ; des que les actes émanés d’eux n’en portent pas l’empreinte, il n’y a plus de corps représentatif. Il n’y a plus de liberté, il n’y a plus de république. Les symptômes les plus alarmants se manifestent depuis quelques jours ; les rapports les plus sinistres nous sont faits. Si des mesures ne sont pas prises ; si le conseil des anciens ne met pas la patrie et la liberté à l’abri des plus grands dangers qui les aient encore menacés, l’embrasement devient général ; nous ne pouvons plus en arrêter les dévorants effets ; il enveloppe amis et ennemis ; la patrie est et consumée… Vous pouvez les prévenir encore ; et un instant suffit : mais si vous ne le saisissez pas, la république aura existé, et son squelette sera entre les mains des vautours qui s’en disputeront les membres décharnés. Votre commission des inspecteurs sait que les conjurés se rendent en foule à Paris, que ceux qui s’y trouvent déjà n’attendent qu’un signal pour lever leurs poignards sur des représentants de la nation, sur des membres des premières autorités. Elle a donc dû vous convoquer extraordinairement pour vous en instruire ; elle a dû provoquer les délibérations du conseil sur le parti qu’il lui convient de prendre dans cette grande circonstance. Le conseil des anciens a dans ses mains les moyens de sauver la patrie et la liberté : ce serait douter de sa profonde sagesse que de penser qu’il ne s’en saisira pas avec son courage et son énergie accoutumés. » Voilà un de ces discours que Plutarque aurait conservés ; car c’est au nom de la liberté que Cornet appelait le despotisme : c’est pour sauver la république qu’il jetait les fondements de l’empire! C’est enfin par la peur qu’il éveillait le courage. Il serait curieux de retracer combien, dans la nation la plus justement renommée pour son courage, la peur a influé sur toutes les journées célèbres, sur toutes les grandes crises de la révolution. Régnier, qui fut depuis grand juge sous l’en›pire, parla dans le même sens que Cornet. Alors celui-ci lut le projet de décret qui ordonnait, pour le lendemain à midi, la translation du corps législatif à St-Cloud, qui interdisait. « toute continuation de fonctions et de délibérations ailleurs et avant ce temps ; » qui chargeait le général Bonaparte de l’exécution de ce décret, mettait sous ses ordres toute la force armée, l’appelait à venir prêter serment, et ordonnait la transmission de suite au conseil des cinq-cents et au directoire de ce décret qui devait être et imprimé, affiché, promulgué et envoyé dans toutes les couronnes de la république par des courriers extraordinaires. » Le décret, signé Cornet, président, était suivi d’une adresse du conseil des anciens aux Français. Cette adresse est encore signée Cornet, président. Il y est dit que le transfèrement du corps législatif à St-Cloud a pour but d’enchaîner les factions qui tendent à le subjuguer ; de rendre à la France la paix intérieure, d’amener la paix extérieure, le salut commun, la prospérité commune. Ces grands mots étaient suivis de cette exclamation pleinement contradictoire avec des actes qui n’étaient rien moins qu’une grande conspiration contre la république : Vive le peuple, par qui et en qui est la république ! Et pour comble d’aveuglement ou de dérision, Chabaud disait, le lendemain, à St-Cloud : « La sagesse et l’énergie du conseil des anciens ont sauvé la république. » Il s’exprimait ainsi en faisant décréter, sous la protection de baïonnettes, l’expulsion de soixante-un représentants du peuple, l’institution du consulat, avec plénitude du pouvoir dictatorial, l’ajournement du corps législatif au 1er ventôse (20 février 1800), et la nomination de deux commissions intermédiaires des deux conseils, composées chacune de vingt-cinq membres, chargés de préparer les changements à apporter aux dépositions organiques de la constitution, etc. Cornet devint un des principaux membres de la commission des anciens, et presque tous ses collègues furent ensuite faits ministres, sénateurs, conseillers d’État ou préfets. « Les républicains, dit fort ingénument Cornet dans sa Notice sur le 18 brumaire, aiment autant les places et l’argent que les royalistes ; ils ne diffèrent entre eux que sur le mode de s’en procurer. Ces députés étaient alors puissants ; ils étaient les chanterelles du directoire. De tout temps, le pouvoir en a en ses ordres. » Si Cornet ne peint pas ici tous les républicains, du moins il se peint lui-même comme une des chanterelles de Bonaparte. Il nous apprend que, dés que le décret de translation à St-Cloud eut été rendu, il alla le porter au général, qui était dans sa petite maison de la rue de la Victoire. Il me dit en le recevant : Je vais aller faire prêter serment aux troupes. Si vous voulez, citoyens représentants, venir avec moi, etc.» L’auteur de la Notice dit encore que « MM. Talleyrand et Rœderer, venus à St-Cloud comme particuliers, paraissaient être, avec le comte Sieyès, l’ame de l’entreprise ; » que Fouché en avait le secret ; et il ajouta : « Je faisais les fonctions de ministre de la police à St-Cloud, comme président de la commission des inspecteurs du conseil des anciens.» On trouve encore dans la Notice de Cornet ce passage curieux : « La révolution (du 18 brumaire) devait se faire le 17 ; mais on n’eut pas le temps de faire les préparatifs indispensables ; heureusement, parce que, le 17, le temps fut très-mauvais, et que la sérénité du temps influe plus que l’on ne pense sur les événements d’une journée. Le 18, le temps fut magnifique, et l’on put déployer tout l’appareil d’une grande force, tant dans les Champs-Élysées que sur les quais et dans le jardin des Tuileries, qui fut en un instant transformé en parc d’artillerie.» Le soir du même jour, Bonaparte se rendit à la commission que présidait Cornet, pour arrêter ce qu’on ferait le lendemain à St-Cloud : « On parlait beaucoup, sans s’entendre et sans rien conclure. Tout ce que proposait le général était en faveur du pouvoir absolu. J’en fis la remarque à Fouché, qui, traitant toujours les affaires les plus graves avec les apparences de la légèreté et de l’insouciauce, me dit : C’est fait. En effet, le pou-