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cessèrent, et cette pièce n’a jamais reparu sur la scène. Le sujet de Bérénice, très différent de celui qu’a traité Racine, est tiré du roman de Cyrus, par mademoiselle de Scudéry. Commode obtint aussi un grand succès ; Stilicon, dont le caractère est bien soutenu, a joui longtemps des honneurs de la scène. Après la comédie du Galant doublé, tirée d’une pièce espagnole et jouée en 1660, Thomas Corneille fit représenter de suite six tragédies : Camma et Pyrrhus (1661) ; Maximian, Persée et Démétrius (1662) ; Antiochus (1666) ; Laodice (1668). On prétend que le sujet de Camma avait été donné à Corneille par le surintendant Fouquet. C’est à un coup de théâtre, pris dans cette tragédie, que du Belloy dut le succès de sa Zelmire. L’affluence fut si considérable aux premières représentations de Camma, qu’il ne restait plus de place sur la scène pour les acteurs. C’est, de toutes les pièces de Thomas, celle qui est la mieux conduite. Il y a de l’intérêt dans l’action et de l’effet dans le dénouement. Thomas donna le Baron d’Albikrac en 1668. Cette comédie, bien intriguée, se soutient encore au théâtre. La tragédie de la Mort d’Annibal (1669) fut suivie de la Comtesse d’Orgueil, comédie en 5 actes et en vers (1670) ; de Théodat, tragédie (1672) : du Festin de Pierre (1673). Cette pièce est la même que celle de Molière. Thomas, comme il l’a dit lui-même, n’a fait que la mettre en vers, en y ajoutant quelques scènes, et en retranchant celle du pauvre et des traits trop hardis. Tous les théâtres de Paris avaient alors une ou deux comédies du Festin de Pierre. On y jouait celles de Dorimond, de Rosimond, de Molière, de Pierre de Villiers, et de Thomas Corneille. Une comédie de l’Espagnol Tirso de Molina est l’original de toutes ces pièces ; elle est intitulée : El Convidado de piedra (le Convié de pierre) ; la comédie de Thomas est la seule qui soit restée au théâtre. La tragédie d’Ariane (1672) fut composée, dit-on, en dix-sept jours. Elle soutint la concurrence avec le Bajazet de Racine, qu’on jouait à la même époque. Voltaire doute que Pierre Corneille eût mieux fait le rôle d’Ariane que son frère. On trouve dans cette pièce des beautés de sentiment, des situations qui entraînent ; mais il n’y a qu’un rôle : la versification est d’une faiblesse extrême (1)[1], quoiqu’elle offre beaucoup de vers heureux et naturels auxquels tout l’art de Racine ne pourrait rien ajouter. Ce jugement est celui de Voltaire, et il n’a point trouvé de contradicteurs. La Mort d’Achille (1673) fut jouée neuf fois, et eut l’honneur d’être reprise. D. César d’Avalos (1674) est une comédie dont l’intrigue est espagnole, et le sujet à peu près semblable à celui des Ménechmes. La tragi-comédie de Circé (1675) eut quarante-deux représentations, et fut reprise en 1705, avec un nouveau prologue et de nouveaux divertissements, par Dancourt. L’Inconnu, comédie dite héroïque

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(1675) obtint un prodigieux succès. Cette pièce, à laquelle travailla de Visé, reprise en 1679 et 1703, fut représentée en 1724, au palais des Tuileries, avec un ballet, dans lequel dansèrent Louis XV et les jeunes seigneurs de sa cour. Le Comte d’Essex, tragédie (1678), fut composé en quarante jours (voy. CALPRENÈDE).

« Il y a, dit Voltaire, quelque
« chose de louche, de confus, de vague, dans tout
« ce que les personnages de cette tragédie disent
« et font. On ne sait jamais à quoi s’en tenir. Ni la
« conspiration du comte d’Essex, ni les sentiments
« d’Elisabeth ne sont jamais assez éclaircis. Je
« veux qu’il me demande pardon ; je ne veux pas
« demander pardon : voilà la pièce. Un héros con-
« damné, un ami qui le pleure, une maîtresse qui
« se désespère, forment un tableau bien touchant ;
« il y manque le coloris (1)[2]. »

Il manque dans toutes les pièces de Thomas Corneille. Ce vers fameux :

Le crime fait la honte, et non pas l’échafaud,

est imité de ce passage de Tertullien ; Martyrem facit causa, non pœna. Psyché, opéra (1678), mis en musique par Lulli, ainsi que Bellérophon (1679), ont été revendiqués par Fontenelle. L’opéra de Médée (1693) fut mis en musique par Charpentier. Thomas ne réussit point dans le genre lyrique ; on prétend qu’en s’y livrant il avait suivi le conseil de Racine et de Boileau, qui voulaient opposer un rival à Quinault. Bradamante, tragédie (1695), n’eut point de succès. Les combats d’une femme contre des hommes furent peu goûtés du public, qui trouva que l’auteur s’était trop astreint à suivre l’Arioste. Le Triomphe des Dames, comédie en 5 actes, mêlée d’ornements, avec l’explication du combat à la barrière, et de toutes les devises, Paris, in-4o. Cette pièce n’est guère qu’un long programme en prose, avec des divertissements en vers. Les Dames vengées, ou la Dupe de soi-même (1682), comédie en 5 actes et en prose, Paris, 1695, in-12. C’est la défense des femmes contre la satire de Boileau : de Visé eut part à cette apologie. La Pierre philosophale, comédie en 5 actes et en prose, avec des chants et des danses (1681). Elle ne fut jouée qu’une fois ; on n’a que le programme de cette pièce, imprimé la même année, in-4o. Le Baron des Fondrières (1686), comédie en prose, qui n’a point été imprimée, et n’eut que deux représentations. Thomas Corneille travailla au Comédien poëte (1673) avec Montfleury. Il fit avec de Visé la Devineresse, ou les Faux Enchantements (1679), comédie en 5 actes et en prose, qui eut beaucoup de succès ; avec Hauteroche, le Deuil (1682), imité d’un conte d’Eutrapel, et resté au théâtre ; et la Dame invisible, ou l’Esprit follet (1684), comédie imitée de Calderon. Thomas Corneille savait conduire une pièce, amener les situations et les varier mais son style est trop souvent privé de force et d’harmonie. Il avait une facilité malheureuse. Voisenon rapporte que lorsque Pierre, en versifiant,

  1. (1) Après avoir entendu ce vers, que Phèdre adresse à Thésée,

    Je la tue, et c’est vous qui me le faites faire,

    Boileau s’écria : « Ah ! pauvre Thomas, tes vers, comparés avec ceux de ton frère, font bien voir que tu n’es qu’un cadet de Normandie. »

  2. (1) Voltaire a joint à son Commentaire du théâtre de Pierre Corneille, celui des tragédies l’Ariane et du Comte d’Essex. [Elles] sont restées au théâtre.