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fit plus que marcher de succès en succès. Thionville, dont le siège pouvait traîner en longueur, est pris avant la fin de la campagne, et rend les Français maîtres du cours de la Moselle. L’année suivante, Condé va réparer les pertes éprouvées par l’armée d’Allemagne. Cependant elle était commandée par Turenne ! La présence de Condé rend la confiance aux soldats. Fribourg, assiégé par les Allemands ; avait été obligé de capituler. Les Français étaient inférieurs en nombre, et Turenne, dont la réputation n’était pas encore établie, avait à se défendre contre Mercy, général non moins habile que brave. (Voy. Mercy.) Condé n’hésite point à l’attaquer sous les murs mêmes de Fribourg. Le combat dura trois jours, et fut indécis ; cependant la gloire de Condé s’en augmenta. Il y courut les plus grands dangers. Un boulet emporta le pommeau de sa selle, et une balle brisa le fourreau de son épée. Turenne, laissé à lui-même, éprouve de nouveaux échecs ; Condé vole une seconde fois à son secours, passe le Necker ; les deux généraux joignent Mercy à Nordlingen, où ils remportent une victoire complète (5 août 1645) : l’armée allemande fut mise en pleine déroute ; Mercy mourut de ses blessures. Condé, épuisé de fatigues, tombe malade ; mais on le voit bientôt après (1646) entrer en Flandre et se rendre maître de Dunkerque, place alors d’une grande importance. Tant de gloire et de succès éveillent enfin l’envie. On l’enlève aux soldats habitués à vaincre sous ses ordres, pour l’envoyer en Catalogne, où il ne trouva que de mauvaises troupes mal payées. Pour la première fois, la fortune se montre infidèle à ses drapeaux ; il assiége Lérida, mais sans succès. Cependant le besoin de ses talents se fait bientôt sentir ; il est rappelé en Flandre, et remporte sur l’archiduc Léopold, avec une armée de beaucoup inférieure en nombre, la victoire de Lens (20 août 1648), qui décida la paix avec l’Allemagne. Ce fut dans cette bataille que le prince de Condé acheva d’écraser les restes de la fameuse infanterie espagnole. Les dépenses nécessitées par la guerre avaient amené un grand rembarras dans les finances. Mazarin, tout-puissant alors, était odieux aux grands qui enviaient sa fortune, et au peuple qui le regardait comme l’auteur de ses maux. Cette haine contre le ministre fut la première cause des troubles. Le parlement de Paris, appuyé de quelques jeunes gens auxquels on donna le nom de frondeurs, osa s’opposer aux volontés de la cour. Condé, recherche des deux partis, se déclara en faveur de la cour, quoiqu’il eût à s’en plaindre, et se servit de son influence pour amener la paix. On l’accusa d’avoir mis un prix trop haut à ce service ; mais un tort plus réel, suivant toutes les apparences, fut d’avoir, voulu empêcher le mariage de la nièce de Mazarin avec le duc de Mercœur, et de s’être permis publiquement des railleries très-vives sur son administration. Condé, rappelé à la cour par la reine, fut arrêté (18 janvier 1650) avec son frère le prince de Conti (voy. Armand de Conti), conduit à Vincennes, à Marcoussy, et ensuite au Havre, où il resta treize mois enfermé. À la nouvelle de sa détention, le peuple avait allumé des feux de joie[1] ; quand il rentra dans Paris, ce fut comme en triomphe. Ni les fêtes qui célébrèrent son retour ni l’exil de Mazarin ne purent le satisfaire : il avait à se venger de la cour. « Je suis entré dans cette prison, disait-il dans un âge plus avancé, le plus innocent de tous les hommes ; mais j’en suis sorti le plus coupable. » Ne songeant donc plus alors qu’à la vengeance, il lève des troupes, marche sur Paris, rencontre l’armée royale commandée par le maréchal de Hocquincourt, prés de Gien, lui enlève cinq de ses quartiers, et force le reste de se jeter dans Bleneau et de se sauver vers Auxerre. Mais, dans cette guerre, Condé n’était plus l’émule ni le maître de Turenne. Turenne, fidèle à son devoir, combattait contre lui. Leurs armées se rencontreront le 2 juillet 1652, dans le faubourg St-Antoine, et il y eut un combat où il se fit de part et d’autre de si grandes choses, que la réputation des deux généraux, déjà si grande, s’en accrut encore. Si Monsieur n'eût fait ouvrir les ·portes à Condé (voy. Montpensier), il restait prisonnier. Désespérant d’obtenir son pardon de la cour, après une faute si éclatante, il prit la fuite, et lorsque le roi fit publier une amnistie générale, Condé était passé, depuis cinq jours, dans les rangs espagnols. En 1654, il cherche à reprendre Arras qu’il avait contribué à donner à la France ; Turenne en fait lever le siège, mais Condé assure la retraite des Espagnols. En 1656, il défait le maréchal de la Ferté, qui commandait en second le siège de Valenciennes, et le fait prisonnier. L’année suivante, il se jette dans Cambray, investi par Turenne, et l’oblige à son tour de se retirer ; mais il ne put empêcher don Juan d’Autriche d’être battu par le même général à la journée des Dunes[2]. En France, où Condé commandait en chef les armées, il avait toujours exécuté les plans qu’il avait lui-même conçus ; en Espagne, où il n’occupait que le second rang, il était obligé de soumettre ses vues ou d’exécuter celles d’un autre : voilà ce qui explique cette alternative de succès et de revers qu’il eut au service des Espagnols. La paix des Pyrénées (1660) lui assura l’oubli de ses torts ; le cardinal Mazarin n’y aurait jamais consenti, si le ministère espagnol n’eût adroitement insinué que la cour de Madrid serait obligée de donner au prince fugitif un établis-

  1. Pendant les guerres de la fronde, on avait publié contre le prince ne conne plus de deux cents pamphlets en prose ou en vers burlesques. (Voy. les recueils connus sous le nom de Mazarinades.)
  2. Condé, voyant les mauvaises dispositions de don Juan, qui avait négligé ses avis, se porta sur une éminence, et dit au duc de Glocester: « Jeune homme, vous n'avez jamais vu perdre de bataille? eh bien, dans un moment vous le verrez. »