CONDÉ (Henri II de Bourbon, prince de), fils du précédent, naquit à St·Jean-d’Angely, le 1er septembre 1588, six mois après la mort de son père. Il fut amené à la cour à l’âge de sept ans ; on l’instruisit dans la religion catholique, et le soin de surveiller son éducation fut confié au marquis de Pisani, seigneur d’un rare mérite. Henri IV lui fit épouser en 1609 Charlotte-Marguerite de Montmorenci, dont il était épris lui-même. Condé, s’apercevant des attentions du roi pour son épouse, s’enfuit avec elle à Bruxelles. Le roi se plaignit au conseil d’Espagne de l’accueil qu’on avait fait à un prince de son sang, sorti du royaume sans sa permission ; mais il serait absurde d’imaginer que la jalousie fût la cause de la guerre que Henri IV méditait contre l’Espagne. Le prince, ne se croyant pas en sûreté à Bruxelles, s’enfuit en Italie, et ne revint à Paris qu’après la mort de Henri IV. Outré de se voir sans emploi, il se mit à la tête du parti des mécontents ; la reine fit des sacrifices pour les apaiser ; mais Condé, loin d’être satisfait, quitta une seconde fois la cour, après avoir publié un manifeste sanglant contre le
gouvernement. Une déclaration le priva, lui et ses adhérents, de leurs biens, comme criminels de lèse-majesté. Le traité de Loudun entre la reine et le prince rétablit la paix ; mais, de retour à Paris, il continua ses cabales. La reine en étant instruite le fit arrêter, conduire à la Bastille, et de là à Vincennes, où il resta enfermé pendant trois ans. Il sollicita sa liberté et un commandement en Languedoc contre les protestants : on lui accorda ces deux grâces, mais avec méfiance. C’était à tort ; il haïssait les protestants, et avait son crédit a recouvrer, deux raisons qui devaient rassurer sur sa conduite. Elle fut celle d’un bon général et d’un sujet fidèle. En 1636, il entra en Franche-Comté, s’empara de quelques places, et vint mettre le siège devant Dole. Cette ville fit une courageuse résistance, et le prince, obligé de porter une partie de ses forces en Picardie, en leva le siége le 15 août. Il ne fut pas plus heureux, devant Fontarabie en 1638, mais ce fut la faute du duc de la Valette. L’année suivante, il prit Salces en Roussillon et Elne en 1612. Après la mort de Louis XIII, il fut admis au conseil de la régente et lui rendit de grands services. Il mourut à Paris, le 11 décembre 1646. Sa plus grande gloire, dit Voltaire, est d’avoir été le père du grand Condé. »
CONDÉ (Louis II de Bourbon, prince de), né à Paris, le 8 septembre 1621. La postérité lui a confirmé le nom de Grand, qui lui fut donné par ses contemporains. Il fit ses premières études au collège des jésuites, à Bourges, et montra des dispositions très-remarquables pour les sciences. et il était né général. L’art de la guerre était en lui, dit Voltaire, un instinct naturel. » Il fit ses premières armes à dix-sept ans, et se trouva au siégé d’Arras en 1641. Il épousa la même année Claire-Clémence de Maillé-Brézé, nièce du cardinal de Richelieu. Ce fut malgré lui, dit-on, qu’il lit ce mariage, et le roi fut obligé d’user de son autorité pour l’y contraindre. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’en arrivant à la cour il avait laissé voir beaucoup d’éloignement pour le ministre, et que même il s’était exprimé sur son compte d’une manière peu favorable. La mort de Louis XIII mit en mouvement toutes les passions des courtisans, et Condé (alors duc d’Enghien) aurait
sans doute figuré dans les troubles qui signalèrent les commencements de la régence, si l’entrée des Espagnols en Champagne ne l’eût retenu à l’armée.
Il leur livra bataille, contre l’avis de son conseil, le 19 mai 1615, dans la plaine de Rocroi ; et, quoiqu’ils eussent l’avantage du nombre et de la position, il les défit entièrement : 10 000 des leurs restèrent sur le champ de bataille et 5 000 furent faits prisonniers. C’était l’élite de leurs troupes, et l’on a remarqué que, depuis cette journée, l’infanterie espagnole, auparavant si renommée, n’a plus rien fait de remarquable. D’un autre côté, ce fut comme le présage de cette époque si glorieuse pour les armes de la France. Tous ces avantages furent obtenus par les bonnes dispositions et l’activité du jeune prince[1]. Après cette glorieuse journée, Condé ne
- ↑ On sera peut-être étonné d’apprendre que c’est dans l’oraison funèbre de Bossuet que se trouve la description la plus exacte et la plus vraie de cette mémorable bataille, et que c’est l’évêque de Meaux qui en a tracé le plus fidèle comme le plus éloquent tableau. L’impétuosité et la brillante valeur du jeune prince y sont d’ailleurs si bien présentées, que nous ne pouvons résister au désir de le donner tout entier, et à l’âge de vingt-deux ans, le duc conçut un dessein ou les vieillards expérimentés ne purent atteindre ; mais la victoire le justifia devant Rocroi. L’armée ennemie est plus forte, il est vrai ; elle est composée de ces vieilles bandes wallonnes, italiennes et espagnoles, qu’on n’avait pu rompre jusqu’alors ; mais pour combien fallait-il compter le courage qu’inspiraient à nos troupes le besoin pressant de l’État, les avantages passés, et un jeune prince du sang qui portait la victoire dans ses yeux ? Don Francisco de Mellos l’attend de pied ferme, et, sans pouvoir reculer, les deux généraux et les deux armées semblent avoir voulu se renfermer dans des bois et dans des marais pour décider de leur querelle, comme deux braves en champ clos. Alors que ne vit-on pas ? Le jeune prince parut un autre homme : touchée d’un si digne objet, sa grande âme se déclara tout entière ; son courage croissait avec les périls, et ses lumières avec son ardeur. À la nuit, qu’il fallut passer en présence des ennemis, comme un vigilant capitaine, il reposa le dernier, mais jamais il ne reposa plus paisiblement. À la veille d’un si grand jour, et dès la première bataille, il est tranquille, tant il se trouve dans son naturel ; et on sait que, le lendemain, à l’heure marquée, il fallut réveiller d’un profond sommeil cet autre Alexandre. Le voyez-vous comme il vole ; ou à la victoire, ou à la mort! Aussitôt qu’il eut porté de rang en rang l’ardeur dont il était animé, on le vit presqu’en même temps pousser l’aile droite des ennemis, soutenir la notre ébranlée, rallier les français à demi vaincus, mettre en fuite l’Espagnol victorieux, porter partout la terreur, et étonner de ses regards étincelants ceux qui échappaient à ses coups. Restait cette redoutable infanterie de l’armée d’Espagne, dont les gros bataillons serrés, semblables a autant de tours, mais à des tours qui sauraient réparer leurs brèches, demeuraient inébranlables au milieu de tout le reste en déroute, et lançaient des feux de toutes parts. Trois fois le jeune vainqueur s’efforça de rompre ces intrépides combattants ; trois fois il fut repoussé par le valeureux comte de Fontaines, qu’on voyait porté dans sa chaise, et, malgré ses infirmités, montrer qu’une âme guerrière est maîtresse du corps qu’elle anime ; mais enfin il faut céder. C’est en vain qu’à travers des bois, avec sa cavalerie toute fraiche, Bek précipite sa marche pour tomber sur nos soldats épuisés ; le prince l’a prévenu, les bataillons enfoncés demandent quartier ; mais la victoire va devenir plus terrible pour le duc d’Enghien que le combat. Pendant qu’avec un air assuré il s’avance pour recevoir la parole de ces braves gens, ceux-ci, toujours en garde, craignent la surprise de quelque nouvelle attaque, leur effroyable décharge met les nôtres en furie ; on ne voit plus que carnage ; le sang enivre le soldat, jusqu’à ce que le grand prince, qui ne peut voir égorger ces lions comme de timides brebis, calma les courages émus, et joignit au plaisir de vaincre celui de pardonner. Quel fut alors l’étonnement de ces vieilles troupes et de leurs braves officiers, lorsqu’ils virent qu’il n’y avait plus de salut pour eux qu’entre les bras du vainqueur ! de quels yeux regardèrent-ils le jeune prince, dom la victoire avait relevé la haute contenance, à qui la clémence ajoutait de nouvelles grâces ! Qu’il eut encore volontiers sauvé la vie au brave comte de Fontaines ! mais il se trouva par terre, parmi ces milliers de morts dont l’Espagne sent encore la perte. »