Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 9.djvu/12

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dureté, lorsque, heureusement pour lui, et peut-être pour le vase, on l’en empêcha. Une autre fois, dans un petit village situé sur les bords de la mer, on lui montrait un cierge que l’on entretenait toujours allumé, et l’on ajoutait que, s’il venait à s’éteindre, le village serait aussitôt englouti par les flots. « Êtes-vous bien sûr de ce que vous dites ? » demanda la Condamine au prêtre qui l’accompagnait ; et comme celui-ci répondit qu’il n’en doutait point : « Eh bien, reprit le curieux académicien, nous allons voir ; » et aussitôt il souffle le cierge et l’éteint. On n’eut que le temps de le dérober à la fureur du peuple en le faisant échapper par une issue secrète, et lui recommandant de quitter le village au plus vite. Il rapporta d’Italie la permission d’épouser sa nièce, qui fit le bonheur du reste de sa vie ; mais, quoique marié, malade et sourd, car il avait contracté cette dernière infirmité dans son voyage au Pérou, il ne put se fixer encore ; il voulut voir l’Angleterre, ce pays de Newton et de Locke. Sa curiosité, désormais réduite à un seul sens, celui de la vue, semblait n’en être devenue que plus active. On en cite des traits presque incroyables. Un jour, passant dans l’appartement de madame de Choiseul tandis qu’elle écrivait une lettre, il ne put résister à la tentation de s’approcher derrière elle pour lire ce qu’elle écrivait ; madame de Choiseul, qui s’en aperçut, continua d’écrire en ajoutant : « Je vous en dirais bien davantage, si M. de la Condamine n’était pas derrière moi lisant ce que je vous écris. — Ah! madame, s’écria la Condamine, rien n’est plus injuste, et je vous assure que je ne lis pas. » Une autre fois, appelé chez le comte de Choiseul, et se trouvant seul dans son cabinet, il se mit à visiter les papiers du ministre, qui, à son retour, le surprenant dans cette occupation, ne put s’empêcher de rire, en le priant toutefois très-sérieusement de n’y plus revenir. Enfin sa mort même fut encore l’effet d’un acte de curiosité. Peu de temps après son retour d’Angleterre, il avait été attaqué d’une paralysie presque totale et de diverses autres infirmités graves. Comme il ne pouvait plus aller à l’académie, il se faisait apporter les registres des séances, et se faisait rendre compte des mémoires les plus intéressants. Il apprit ainsi qu’un jeune chirurgien venait de proposer une opération très-hardie et nouvelle pour une des maladies dont il était attaqué. Il le fait aussitôt venin et lui propose de répéter sur lui-même son Expérience. « Mais si j’ai le malheur de ne pas réussir. — Eh bien, cela ne peut avoir aucun inconvénient pour vous. Je suis vieux et malade ; on dira que la nature vous a mal secondé. Si, au contraire, vous me guérissez, je rendrai moi-même un compte exact de votre procédé à l’académie, et cela vous fera le plus grand honneur. » Ce jeune homme consent et commence l’opération ; mais le curieux malade ne se contentait pas de souffrir, il voulait encore voir comment on l’opérait. « Allez donc doucement, monsieur, je vous prie, permettez que je voie... Mais, monsieur, si je ne vois pas votre manière d’opérer, je n’en pourrai jamais rendre compte à l’académie. » Il ne put résister aux suites de cette opération, et mourut le 4 février 1771. Sa gaieté, son courage, sa philosophie ne l’abandonnèrent pas un instant. Depuis longtemps il était habitué à plaisanter de ses souffrances ; il en faisait même des chansons. Ce fut ainsi, dans les derniers temps de sa vie, qu’il composa pour son amusement quelques petites pièces de vers où l’on trouve du naturel et de la facilité. En général, il écrivait d’une manière simple et négligée, mais claire et quelquefois piquante. L’Académie française le reçut au nombre de ses membres en 1760. Elle avait alors l’adroite politique de vouloir réunir tout ce qui jetait de l’éclat dans les lettres, les sciences et le monde. La Condamine, spirituel, aimable, célèbre par ses longs voyages, jouissant dans le monde d’une grande réputation continue savant, écrivant avec correction, souvent même avec une facilité élégante, lui convenait sous trop de rapports pour qu’elle ne cherchât pas à l’attirer. Son discours de réception n’a rien de remarquable ; il est simple et clair comme ses autres écrits. La réponse de Buffon est majestueuse et sublime. Elle n’a que deux pages ; mais ces deux pages, écrites avec génie, porteront plus loin le nom de la Condamine que tous ses ouvrages n’auraient pu le faire. J. Delille le remplaça a l’Académie, et prononça son éloge, selon l’usage. C’est un des plus beaux morceaux de prose que ce grand poëte ait écrits, et il se trouve imprimé dans le volume de 5 ses Poésies fugitives. Les ouvrages de la Condamine sont : 1° The distance of the tropicks, 1738, in-8o (distance observée de Quito). 2° Estrato de observaciones en al viage del rio de Amazonas, 1715, in 12. 3° Relation abrégée d’un voyage fait dans l’intérieur de l’Amérique méridionale, Paris, 1715, in-8o ; traduite en anglais et en hollandais, 1717, in·8°. 4° Lettre sur l’émeute populaire excitée en la ville de Cuença, le 29 août 1759, contre les académiciens, et sur la mort du sieur Seniergues, 1716, in-8o. 5° La Figure de la terre déterminée par les observations de MM. de la Condamine et Bouguer, Paris, 1740, in-4°. 6° Lettre critique sur l’éducation, Paris, 1751, in-12. 7° Mesure des trois premiers degrés du méridien dans l’hémisphère austral, Paris,1751, in-1°. 8° Histoire des Pyramides de Quito, Paris, 1751, in-4o. 9° Journal du voyage fait par ordre du roi à l’équateur, Paris, 1751, in-4°: ce journal fait aussi partie des Mémoires de l’académie des sciences. En 1752, la Condamine y joignit un Supplément, dans lequel on trouve sa réponse à Bouguer, et l’Histoire des Pyramides de Quito, réimprimée. 10° Trois Mémoires sur l’inoculation ; le premier en 1751, traduit en italien, Lucques, 1755 ; le second en 1758, et le troisième en 1765. 11° Lettres à Daniel Bernoulli sur l’inoculation, 1760, in-12. 12° Lettres au docteur Maty sur l’état présent de l’inoculation en France, Paris, 1764, in-12. 15° Histoire de l’inoculation de la petite vérole, Amsterdam (Avignon), 1775, 2 vol. in-12. 14° Le Pain mollet, poëme, 1768, in-12. On a encore de la Condamine plusieurs lettres et métnoires dans le recueil de l’Académie, dans le Mercure de France, et l’on cite de lui diverses pièces de vers, telles que l’Épître d’un vieillard, la Dispute