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sur la succession de l’empereur Charles VI, et avait fait même avec lui, dès 1741, un traité d’alliance, ayant éprouvé des revers, et sentant qu’elle échouerait dans le dessein de dépouiller la reine de Hongrie, lui fit faire des ouvertures de paix. Cette princesse, comptant sur de plus grands succès encore, les ayant refusées, on se décida alors à lui déclarer la guerre dans les formes, et comme partie principale[1] ; mais auparavant on résolut de se fortifier par des alliances avec les princes d’Allemagne. Pour atteindre ce but, le ministère français jeta les yeux sur Chavigny, qui passait pour un des plus habiles négociateurs de l’Europe, et jouissait sous ce rapport, même chez l’étranger, d’une réputation justement méritée. Arrivé à Francfort le 21 octobre 1745, Chavigny s’attacha d’abord à connaître les sentiments des divers princes d’Allemagne, et s’assura que plusieurs d’entre eux étaient disposés à s’unir à la France contre la reine de Hongrie, moyennant des subsides. Il revint à Versailles, au mois de janvier de l’année suivante, rendre Compte de sa mission, et, de concert avec le maréchal de Noailles, il combina un plan de ligue pour soutenir l’empereur Charles VII. Ce plan ayant été adopté par le conseil du roi, malgré l’opposition du contrôleur général, qui craignait avec raison les énormes dépenses que son exécution entraînerait, Chavigny retourna immédiatement à Francfort. Ses instructions lui enjoignaient de maintenir les constitutions de l’Empire, conformément aux traités de Westphalie, de travailler au rétablissement de la paix, de procurer à l’Empereur la restitution de ses États, et de faire accommoder à l’amiable, ou par une décision juridique, les différends relatifs à la succession autrichienne. Les confédérés devaient se garantir mutuellement leurs possessions actuelles. Des lettres de change, de la valeur de 1 300 000 florins, confiées à de Chavigny, étaient le mobile qui devait accélérer les résolutions des princes allemands. Une nouvelle imprévue suspendit pour quelque temps les espérances du négociateur. Le cardinal de Tencin, ministre d’État, sans réfléchir à l’insuffisance des forces maritimes de la France, persuada au roi de tenter une descente en Angleterre, en faveur du prince Édouard, lits du prétendant ; et on rassembla à Dunkerque des troupes de débarquement, sous les ordres du maréchal de Saxe. La publicité de ce dessein souleva le parti protestant d’Allemagne, et faillit rompre les négociations entamées à Francfort. Les ministres de Prusse et de Hesse surtout témoignèrent hautement leur mécontentement à de Chavigny. Celui-ci, d’autant plus embarrassé que le ministère français ne l’avait point instruit de ses projets, n’oublia rien pour calmer ces deux ambassadeurs, et il lit espérer que les éclaircissements qu’il attendait de sa cour dissiperaient leurs alarmes. Extrêmement affecté de ce contre-temps, Chavigny écrivit incontinent au maréchal de Noailles : « Quelle différence, monsieur le maréchal, de ma dépêche du 12 mars à celle du 15! Dans ma première, tout est en train de se faire avec le concours du roi de Prusse ; dans la seconde, tout est en train de se démancher, faute du concours de la Hesse. Et pourquoi ? pour un projet que je ne connais encore que par la haine et le mépris qu’il excite contre nous ; et je craindrais plus le mépris que la haine. Cependant je ne me décourage, ni ne me découragerai point, etc. » La duchesse de Châteauroux (voir ce nom) pouvant beaucoup sur l’esprit du roi, et ayant du zèle pour le bien public, Chavigny lui communiqua aussi ses réflexions ; mais ce fut sans fruit. Le maréchal de Noailles, tout en désapprouvant ta descente en Angleterre, répondait an négociateur, sous les dates des 19 et 24 mars, « que la cour de Londres, ne gardant plus de mesure avec la France, insultant ses ports, attaquant ses vaisseaux. et joignant les hostilités aux menaces, le roi n’avait plus de ménagements à garder à son égard ; qu’il devait faire éclater son ressentiment ; qu’en faisant aux Anglais une diversion qui les obligeât de réserver pour leur défense une partie de leurs troupes, il servait la cause commune. » Comme il ajoutait « que la France n’avait en vue que le rétablissement de la paix, loin de vouloir déranger le système de l’Europe, » Chavigny fit valoir cette déclaration formelle, et la négociation se ranima. Le prince de Hesse-Cassel, en offrant par pure bienséance, au roi d’Angleterre, d’aller en personne avec ses troupes, si le cas l’exigeait, défendre un trône et une religion, pour lesquels son zèle ne se démentirait point, lui représenta aussi ses devoirs à l’égard de l’Empereur et de l’Empire, de manière à laisser entrevoir ses véritables intentions. Les raisonnements de cabinet servirent, au surplus, moins bien M. de Chavigny dans sa négociation que les circonstances. Les vents n’ayant pas permis d’exécuter la descente en Angleterre, il en résulta un changement de plan tel, que la France put de nouveau tourner ses vues vers le continent, et il fut conclu le 22 mai à Francfort un traité, connu dans l’histoire sous le nom d’Union de Francfort, entre l’empereur Charles VII, le roi de Prusse, comme électeur de Brandebourg, l’électeur palatin, et le roi de Suède en sa qualité de landgrave de Hesse-Cassel. Le roi de Prusse, qui déjà avait fait signer à Versailles, le 5 juin 1704 par le comte de Rottembourg, son agent auprès de la cour de France, un traité d’alliance et de subsides, donna son accession à l’union de Francfort le 6 du même mois, le même jour que cette cour le fit par M. de Chavigny, son ministre extraordinaire prés la diète, à qui les résultats de cette négociation firent beaucoup d’honneur. Il justifia la réputation de dextérité, d’habileté et de pénétration qu’il s’était acquise, qualités qui, jointes à de la franchise, à des manières agréables, et à une connaissance de presque toutes

  1. Jusqu’a cette époque la France n’avait agi que comme alliée de l’électeur de Bavière, et bien qu’en cette qualité elle eût envoyé à son secours des troupes qui combattaient celles de Marie-Thérèse, les deux puissances n’étaient point censées être en état de guerre, distinction assez vaine, mais admise pourtant en politique dans quelques circonstances et dédaignée en d’autres. La déclaration de guerre de la France ne fut publiée que le 26 avril 1744 ; le manifeste de la reine de Hongrie est du 16 mai suivant.