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chargé d’absoudre le roi Philippe. Il voulut ainsi mettre en usage tous les moyens de rappeler le monarque à ses devoirs. Voyant toutes ses peines inutiles, il regretta les jours de paix et de bonheur qu’il avait passés dans le cloître, et il pria le pape d’accepter sa démission. Le pontife s’y refusa en disant qu’à la vérité l’épiscopat n’était point nécessaire à Yves, mais qu’Yves était nécessaire à l’épiscopat et à toute l’Église, qui ne pouvait plus se passer de ses services. Cependant, après tant de peines et de tribulations, le saint prélat eut la consolation de voir son souverain réconcilié avec l’Église par l’absolution de son excommunication que lui donna Lambert, évêque d’Arras, délégué par le pape. Yves avait eu une grande part à cette réconciliation, et elle ajouta beaucoup à son crédit dans tout le royaume[1]. Philippe étant mort le 11 juillet 1108, Yves conseilla de sacrer au plus tôt son fils Louis, parce que l’on craignait quelques seigneurs, dont ce jeune prince avait réprimé les violences. L’autorité, l’expérience de l’évêque de Chartres firent impression ; on suivit son avis, et le sacre se fit à Orléans, par le ministère de l’archevêque de Sens, assisté de plusieurs évêques, parmi lesquels se trouvait saint Yves. La cérémonie n’était pas encore achevée, quand les députés de l’Église de Reims arrivèrent avec une protestation. Yves écrivit à ce sujet une lettre circulaire adressée à l’Église romaine et à celle de France ; il y faisait voir que le sacre du roi Louis ne pouvait être attaqué par aucun motif pris dans la raison, dans la coutume et dans la loi. A cette époque la question de l’investiture était vivement agitée ; Yves, tâchant de tenir un sage milieu, s’affligeait de voir l’autorité séculière empiéter sur les libertés de l’Église ; d’un autre côté, il blâmait les ecclésiastiques qui méprisaient l’autorité temporelle, et qui donnaient l’exemple de la désobéissance. Ce prélat mourut le 23 décembre 1115, après avoir occupé avec gloire le même siège pendant vingt-trois ans. Il fut enterré dans son monastère de Saint-Jean en Vallée, près de Chartres, qui était une espèce de colonie de celui de Saint-Quentin. Son corps y resta jusqu’au 16e siècle, époque à laquelle les Calvinistes le déterrèrent pour le brûler, et jetèrent ses cendres au vent. Cependant Godescard dit que l’on conserve à Chartres, dans une châsse, les reliques de saint Yves[2]. Quoique sincèrement attaché au siège apostolique, Yves n’oublia jamais ce qu’il devait à son roi ; et les tribulations n’ébranlèrent point sa fidélité. Le zèle qu’il déploya en faveur des mœurs et de la religion, contre le mariage illégitime de Philippe Ier, l’a fait accuser injustement d’un trop servile dévouement à la cour de Rome. Son courage, dans cette circonstance importante, toutes les persécutions qu’il subit, et auxquelles il s’était volontairement exposé, ne pouvaient avoir d’autre but, et n’eurent pas d’autres résultats que le triomphe de la religion et des bonnes mœurs[3]. On peut comparer le rôle que saint Yves remplit alors dans l’Église de France, par son zèle, sa fermeté et son savoir, au rôle que saint Bernard y joua un peu plus tard, et à celui que notre grand Bossuet a rempli naguère avec tant d’honneur. Au milieu de ces persécutions et de ces utiles travaux, saint Yves ne négligea rien de ce qui pouvait illustrer son épiscopat. Déjà, sous Fulbert, un de ses prédécesseurs, les écoles de Chartres avaient acquis une grande célébrité ; saint Yves mit tous ses soins à y ajouter encore. Il choisit pour les diriger les plus habiles professeurs, tels que les deux Bernard, Vulgrin, Hugues de Chartres, Samson de Mauvoison, qui fut depuis archevêque de Reims, et autres non moins célèbres. Son église cathédrale n’était pas encore terminée ; il ne se contenta pas de l’achever sur le plan tracé par ses prédécesseurs, il en augmenta beaucoup les embellissements. Il reçut de la munificence de Mathilde, reine d’Angleterre, des cloches, qui se firent entendre les premières, depuis l’incendie du 7 sept. 1020. C’est à cette occasion qu’il adressa à cette princesse sa belle épître 142. Il fit construire à ses frais le superbe jubé qui

  1. Après la mort d’Urbain II, saint Yves adopta des principes de douceur et d’indulgence, qui semblent fort opposés à ceux qui l’avaient dirigé jusqu’alors ; mais ils ne furent sans doute que le résultat de grandes réflexions et de hautes considérations que lui inspira le désir de ramener la paix dans le royaume. Les lettres qu’il écrivit au pape, à cette époque, en sont la preuve, notamment celles qu’il adressa à Pascal II. Ce fut probablement par ces lettres que le pontife se décida à accorder aux évêques les autorisations nécessaires pour donner l’absolution à Philippe et à Bertrade. Alors Berthe, première femme de Philippe, n’existait plus. On découvrit que Foulques, comte d’Anjou, avait épousé Bertrade du vivant d’une première femme qu’il avait répudiée ; de là on voulut bien conclure que son mariage avec Bertrade était nul, et, pour terminer cette désastreuse affaire, ou admit le divorce entre lui et Bertrade. Par ce moyen tout fut concilié, et l’excommunication fut levée dans l’assemblée des évêques tenue à Paris le 30 novembre 1104. C’est ce qui doit paraître surprenant, après tous les scandales et tous les débats qui eurent lieu pendant les douze années qui virent les papes, le roi et les évêques de France se combattre mutuellement, les uns pour rompre une union illégitime, les autres pour la conserver malgré les peines ecclésiastiques qu’on leur infligeait. Mais ce qui est plus étonnant encore, c’est que Philippe et Bertrade se rendirent ensuite auprès du comte Foulques d’Anjou, et en furent reçus avec les plus grands honneurs. Philippe vécut peu d’années après la fin des troubles dont il avait été l’instrument ; et Bertrade, fatiguée de toutes les agitations et de toutes les tribulations qui avaient tourmenté son existence, se retira dans le couvent de Hautes-Bruyères, au diocèse de Chartres, où elle se fit religieuse, et où elle termina ses jours. H―N.
  2. Godescart est dans l’erreur. Tous les manuscrits attestent qu’il fut impossible de reconnaître les reliques ou ossements de saint Yves, lors des recherches que l’on en fit dans les décombres de ce monastère après le départ des huguenots. H—N.
  3. Philippe et Bertrade, non contents d’avoir privé saint Yves des revenus de son évèché, le réduisirent à un tel état de dénûment et de misère, qu’il ne lui resta pas même de pain. Peu satisfaits de cet abus de leur pouvoir, ils le firent emprisonner par le fameux Hugues du Puiset, vicomte de Chartres, qui, trop fidèle ministre de leur vengeance, osa emmener le saint évêque de Chartres dans son château de Puiset, on il le retint étroitement jusqu’en 1094, sans humanité et sans aucun égard pour sa haute dignité et ses éminentes vertus (voy. PUISET). Tous les faits et tous les détails qui concernent le divorce de Philippe Ier avec Berthe, et le mariage avec Bertrade de Montfort, qui en fut la suite, sont du plus haut intérêt, et se trouvent développés avec le soin et l’étendue les plus désirables dans l’excellente dissertation de dom Brial, sous le titre d’Examen critique des historiens qui ont parlé du divorce de Philippe Ier., lu à l’Institut le 5 juillet 1805, et inséré dans le tome XVI du Recueil des hist. des Gaules, 1814, in-fol., p 28 et suiv. H—N.