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apprit à penser d’après lui-même, et à se créer des opinions indépendantes. A l’âge de vingt ans, il suivit les cours de l’université d’Iéna, et vint ensuite prendre ses grades à Leipsick. Il y fit quelque séjour, et soutint, en 1701, sur l’application de la méthode mathématique, une thèse qui attira l’attention des savants, et mérita leurs suffrages. Là, il s’aida des conseils et des exemples de Tschirnhausen, géomètre lui-même et philosophe. Burkhard Munken le mit en rapport avec Leibniz, qui l’encouragea, et avec lequel il eut le bonheur d’entrer en correspondance. Ainsi se forma l’éducation philosophique de Wolff. Il puisa à l’école de Descartes le désir d’une réforme, le sentiment de l’indépendance nécessaire pour l’opérer, et l’idée de la méthode qu’il adopta. Il puisa à l’école de Tschirnhausen le besoin de l’unité systématique, l’exemple de la précision dans le langage, l’exactitude des définitions, la disposition à concilier avec les méthodes à priori les instructions de l’expérimente, et surtout celles de l’expérience intérieure, dont la conscience est le théâtre. À l’école de Leibniz, il s’éleva aux sommités des spéculations métaphysiques sur les principes élémentaires des êtres et la coordination générale des phénomènes. Wolff comprit que le moment était venu de donner à l’Allemagne une philosophie nationale, comme, à la même époque, elle sollicitait aussi une littérature indigène. La philosophie scolastique était discréditée : Aristote, trop confondu avec elle, avait vieilli comme elle : le platonisme, peu connu, manquait d’ailleurs d’un caractère didactique. Thomasius était resté dans des régions trop vulgaires ; Descartes avait pris un vol trop hardi ; ses succès partiels ne pouvaient être durables : Leibniz avait posé des bases, mais n’avait point construit un édifice. Wolff osa se présenter pour architecte. Il avait d’abord dirigé ses vues vers le ministère ecclésiastique, mais l’amour des sciences lui fit préférer la carrière de l’enseignement. Deux dissertations, l’une sur la mécanique et l’autre sur la langue, furent ses premiers essais, après sa thèse. Repoussé d’abord dans quelques démarches pour obtenir une chaire, il se vit, en 1707, appelé à la fois à Giessen et à Halle. Il préféra cette dernière ville, et y fut chargé de l’enseignement des mathématiques et de la physique. Ses premiers travaux eurent pour objet la science qu’il était chargé d’exposer ; et ce fut alors qu’il exécuta et publia ses Eléments de mathématiques, ainsi que la plupart de ses ouvrages sur le même sujet. Mais il ne tarda point à payer aux sciences philosophiques le tribut qu’elles attendaient de lui. Il leur consacra successivement plusieurs écrits et ne craignit point d’emprunter la langue nationale ; exemple nouveau pour l’Allemagne, mais dont l’influence devait être salutaire, et que le public accueillit avec une juste reconnaissance. Ces ouvrages détachés ne portaient que le titre de Pensées sur les forces de l’entendement humain, sur Dieu, le monde et l’âme humaine, etc. ; rédigés sous une forme plus concise et plus simple que son grand corps de philosophie latine, quoiqu’ils aient précédé celui-ci, ils sont cependant plus utiles à consulter encore aujourd’hui, pour faire bien connaître les systèmes de leur auteur, comme dans le temps ils décidèrent de leur succès. Déjà, dans le monde savant, le nom de Wolff se plaçait à la suite de celui de Leibniz. On l’appelait à Wittemberg, à Leipsick, à St-Pétersbourg. Le roi de Prusse lui décernait le titre de conseiller de cour, et augmentait ses honoraires. Les honneurs littéraires s’unissaient aux applaudissements de ses disciples, aux suffrages de l’opinion. Ce triomphe éclatant et rapide ne tarda pas à être troublé par un violent orage. Le piétisme régnait alors parmi les professeurs de théologie : ceux-ci concevaient chaque jour contre la philosophie de leur collègue les préventions les plus fâcheuses ; ils lui attribuaient une tendance contraire à la religion et à la morale ; ils l’accusaient de substituer l’action des causes mécaniques à l’empire de la Providence dans le gouvernement de l’univers ; ils lui reprochaient d’introduire le fatalisme dans la philosophie, par l’emploi qu’il faisait de l’hypothèse de l’harmonie préétablie. A leur tête était le mystique Joachim Lange, homme exalté dans ses opinions, violent par caractère, personnellement animé, dit-on, contre Wolff, parce que celui-ci, doyen de la faculté de théologie, avait voulu conserver pour adjoint Thümmig, l’un de ses propres disciples, qui était en même temps son ami, et avait repoussé le fils de Lange lui-même, lequel aspirait à ces fonctions, comme étant peu capable de les remplir. La philosophie de Wolff était chaque jour attaquée avec véhémence. Une circonstance se présenta pour lui attirer une persécution de la part de l’autorité, et elle fut avidement saisie. Le monde savant était alors fort préoccupé par les notices que donnaient les missionnaires jésuites sur les mœurs et les opinions des Chinois. Wolff, dans le discours solennel qu’il prononça en quittant le protectorat académique, traitant de la philosophie de Confucius, fit l’éloge de la doctrine morale léguée par ce sage, et déclara que les principes de cette doctrine étaient en accord avec ceux qu’il avait adoptés lui-même. On cria au scandale, en voyant un professeur chrétien adopter ainsi les maximes d’un peuple privé des lumières de l’Evangile. Il est assez curieux de remarquer que Wolff, en écrivant au ministre de Cocceji, à Berlin, pour réclamer contre l’attaque dont il était l’objet, déclara qu’il avait eu le projet de faire imprimer sa dissertation à Rome, avec l’approbation de l’inquisition. La métaphysique de Wolff fut ouvertement et vivement critiquée par l’un de ses anciens disciples, Strahler, qui paraît avoir été excité par Lange, et influencé aussi par quelque ressentiment personnel. Cette critique, publiée en