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de Berlin. Dans cette place, il acquit toute la confiance de la veuve du général Itzenplitz, dont il éleva le fils, et se chargea de la gestion de ses biens après avoir renoncé à ses fonctions pastorales. Il épousa en secret la fille de cette veuve. La famille ayant attaqué la légalité de ce mariage contracté sans les formalités ordinaires, Wœllner jugea prudent de transiger avec elle, en renonçant à la succession de sa femme ; concession dont il se fit relever dans la suite par le roi. Il se livra dès lors à l’économie rurale, et se fit remarquer tant par la pratique que par les théories qu’il publia. Son mémoire sur le partage des biens communaux et sur d’autres objets d’économie publique donna une bonne opinion de ses vues. Il fut consulté dans des affaires importantes ; le prince Henri, frère du roi de Prusse, l’appela dans son conseil des domaines, et le prince héréditaire de Prusse reçut de lui des leçons d’économie publique, ainsi que des mémoires sur la plupart des branches de l’administration. Ce fut l’origine de la faveur dont Wœllner jouit dans la suite auprès de ce prince lorsqu’il fut monté sur le trône. Pour arriver à cette faveur, il s’était fait initier dans l’ordre secret des rose-croix, et en propageait avec chaleur les doctrines, moins sans doute par conviction que par calcul. Les rose-croix de Berlin formaient une secte d’un caractère particulier. A leur tête se trouvait Bischoffswerder (voy. ce nom), homme intrigant, qui avait toute la confiance du roi. Ils professaient une religion mystique, croyaient ou feignaient de croire à la magie, évoquaient les ombres, cherchaient la pierre philosophale, etc. Dans le public on les accusait d’être des jésuites déguisés, parce qu’ils paraissaient favoriser les dogmes ou du moins les cérémonies de la religion catholique. A peine le prince héréditaire fut-il monté sur le trône, sous le nom de Frédéric-Guillaume, que l’on vit tout l’ascendant que Wœllner avait pris sur lui. Il fut élevé au rang de la noblesse, nommé conseiller des finances et surintendant des bâtiments. En 1788, le roi le désigna pour être ministre d’État et de justice. et le mit à la place de Zedliz, chef des affaires ecclésiastiques. La Prusse vit bientôt les effets de cette faveur signalée. Wœllner, empressé de se distinguer par des coups d’Etat, fit d’abord signer par le roi le fameux édit de religion, dans lequel on tonnait contre les novateurs en matière de religion, contre les partisans des lumières et contre la détérioration de la doctrine évangélique et protestante. L’édit enjoignait aux pasteurs et instituteurs de revenir à l’ancienne doctrine, sous peine de destitution et de punitions plus graves encore. Un pareil édit signé par un roi voluptueux et insouciant, et contre-signé par un pasteur intrigant, dut surprendre les sujets du feu roi Frédéric II, qui avait laissé au culte la plus grande liberté. La partie éclairée de l’Église protestante n’admet pas de système invariable de dogmes. Il y avait d’ailleurs quelque chose de ridicule dans cette ferveur apparente d’un gouvernement aussi mondain pour la pureté de la foi. L’édit fut attaqué dans une foule de brochures. L’écrit qui eut le plus de succès fut la lettre d’un vieux pasteur à Wœllner, dans laquelle on exhortait le nouveau ministre à repousser le mysticisme et la superstition, au lieu d’exiger de l’orthodoxie et d’encourager l’hypocrisie. La vivacité des attaques anonymes fournit bientôt un prétexte pour enchaîner la presse ; et, loin de se laisser effrayer par le cri public, Wœllner pressa de toutes ses forces l’exécution de l’édit de religion et l’espèce de réforme qu’il avait imaginée. Un médiocre ouvrage du conseiller Rœnniberg, Des livres symboliques par rapport au droit public, qui contenait l’apologie du fameux édit, et qui justifiait par de faibles raisonnements l’intervention du roi dans les matières d’enseignement dogmatique, fut recommandé à tout le clergé. On écrivit contre cette apologie ; Wœllner voulut supprimer la réfutation, mais le consistoire n’y trouva de blâmable que quelques expressions. Wœllner arracha au roi une défense d’imprimer la brochure ; l’auteur, Villaume, la fit paraître à l’étranger, et le public apprit ainsi la dissidence qui existait à Berlin entre le chef du département ecclésiastique et le consistoire. Un autre auteur, Bahrdt, qui avait mis l’édit de religion en comédie, fut incarcéré. Wœllner fit prescrire ensuite à tout le clergé de se servir d’un catéchisme et d’un autre livre d’instruction religieuse qui étaient mauvais, et qui, selon l’avis de quelques théologiens, n’enseignaient même pas bien exactement la doctrine luthérienne. Il fallut les refaire ou du moins les corriger. De deux universités prussiennes qui avaient été consultées pour savoir s’il convenait d’introduire ces instructions religieuses, l’une avait donné un avis négatif ; le consistoire de Berlin avait été de la même opinion ; Wœllner n’en persista pas moins dans son projet, qui fut attaqué par une foule de nouvelles brochures. Dans quelques-unes on contestait aux souverains protestants le droit de déterminer les dogmes qui doivent être enseignés à leurs coreligionnaires. Une commission qu’il institua pour les examens ecclésiastiques, et qui devait s’enquérir avec soin des opinions religieuses des candidats, provoqua de nouveaux murmures. Il avait mis à la tête de cette espèce d’inquisition un prédicateur médiocre, nommé Hermès, qui exerça ses fonctions avec toute la morgue d’un parvenu. Les pasteurs furent obligés de faire preuve d’orthodoxie ; on tira de la poussière des livres surannés pour leur servir de modèles et de guides ; on leur prescrivit les textes sur lesquels ils devaient prêcher. Assez de plumes revendiquèrent la liberté religieuse ; ce fut en vain ; on donna de nouveaux ordres pour arrêter la circulation