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pouvait ouvrir, etc. ; tels sont les objets dont s’occupa cette âme active, qui semblait ne pouvoir trouver de repos que dans la sécurité et le bonheur de la patrie. Le roi, pour récompenser tant et de si grands services, donna à Vauban le bâton de maréchal de France (1703). Sachant d’avance l’intention du monarque, il tâche de l’en détourner ; expose que c’est nuire au bien du service ; qu’il ne pourra plus diriger de siéges, parce que le grade auquel le roi veut l’élever ne lui permettra pas de servir sous un général ; enfin il plaide contre lui-même avec cette chaleur que met un homme jaloux à desservir son ennemi. Louis s’étonne d’être, en quelque sorte, forcé d’exiger l’obéissance pour une faveur objet de tant d’ambition. Après l’avoir reçue avec tant de modestie, Vauban montra bientôt combien son refus avait été sincère, Louis XIV, voulant que l’élève de Fénelon le fût aussi de Vauban dans l’art des siéges, envoya le maréchal diriger le siége de Brissach, sous le commandement du duc de Bourgogne. C’était encore une des places que lui-même avait construites. « Monsieur le maréchal, lui dit le jeune prince, vous allez perdre votre honneur devant cette ville : ou nous la prendrons, et l’on dira que vous l’avez mal fortifiée ; ou nous échouerons, et l’on dira que vous m’avez mal secondé. — Monseigneur, répondit Vauban, on sait comment j’ai fortifié Brissach ; mais l’on ignore et l’on saura bientôt comment vous prenez les places que j’ai fortifiées. » Les assiégés capitulèrent le treizième jour. Ce fut le dernier siège que fit Vauban. Sa gloire causait de l’ombrage. Il offrit au jeune prince son Traité de l’attaque des places, comme s’il eût voulu donner l’exemple avant le précepte. Le duc de la Feuillade, se trouvant chargé du siége de Turin, ne voulait écouter personne et repoussait avec hauteur les meilleurs avis. Louis XIV, qui comptait plus sur son dévouement que sur son habileté, fait venir Vauban et ne lui dissimule pas ses inquiétudes. Celui-ci voit au premier coup d’œil les vices du projet d’attaque et s’offre comme simple volontaire pour aller diriger le siège sous les ordres de la Feuillade. « Mais vous ne pensez pas, lui dit le roi, combien vos fonctions seraient au-dessous de votre dignité ? — Sire, ma dignité est de servir l’État ; je laisserai le bâton de maréchal à la porte, et j’aiderai peut-être la Feuillade à prendre Turin. » Ce dernier, à qui les offres du maréchal furent soumises, les rejeta avec dédain et répondit dés obligeamment qu’il comptait bien prendre Turin à la Cohorn. Après soixante-quinze nuits de tranchée et plusieurs assauts, il fut obligé de lever le siége et ne sut ni prendre la ville ni se joindre à l’armée, dont son ignorante obstination avait amené la défaite. Vauban, désespéré des revers de la France et de l’inaction à laquelle le condamnait la dignité dont il venait d’être revêtu, déplorait des honneurs qui enchaînaient son courage et s’affligeait d’une récompense qui l’empêchait de servir. Toujours dévoré de l’amour du bien public, il met en ordre l’immense collection de matériaux, de projets, de plans qu’il avait recueillis ou conçus dans le cours d’une vie si laborieuse. La levée des troupes, la stratégie, les fortifications, tout ce qui compose l’administration militaire, la marine, les finances, le régime intérieur, la religion même, avaient été l’objet de ses méditations. Il forme de ces matériaux douze volumes in-fol., qu’il intitule Les oisivetés[1], titre modeste donné par le génie aux productions d’un talent qui s’appliquait à tout[2]. C’est au milieu de ces travaux que la mort vint le frapper, le 13 mars 1707. Il la reçut avec cette résignation que donnent une longue habitude du courage, la certitude d’avoir rempli ses devoirs et le témoignage d’une conscience exempte de tout reproche. Rien n’égalait son dévouement au roi, si ce n’est la franchise avec laquelle il lui disait la vérité. Louvois trouva souvent cette franchise importune et fut obligé de l’endurer. Tel était Vauban : « Le premier des ingénieurs et le meilleur des citoyens[3] ; un Romain, qu’il semblait que le siècle de Louis XIV eût dérobé aux plus heureux temps de la république[4]. Terminons par l’opinion d’un homme tellement avare de louanges qu’il voudrait recourir après celles que la vérité lui arrache. « Vauban, le plus honnête homme de son siècle, dit le duc de Saint-Simon, le plus simple, le plus vrai, le plus modeste, avait fort l’air de guerre, mais en même temps un extérieur rustre et grossier, pour ne pas dire brutal et féroce ; il n’était rien moins : jamais homme plus doux, plus compatissant, plus obligeant ; mais respectueux sans nulle politesse et le plus ménager de la vie des hommes, avec une valeur qui prenait tout sur lui et donnait tout aux autres. Il est inconcevable qu’avec tant de droiture et de franchise, incapable de se porter il rien de faux, ni de mauvais, il ait pu gagner, au point qu’il fit, l’amitié et la confiance de Louvois et du roi. » Le maréchal de Vauban ne laissa que deux fllles ; ainsi la famille de ce nom qui existe est d’une branche collatérale. Le 26 mai 1808, les ministres de la guerre et de la marine, accompagnés de plusieurs maréchaux de France et de M. le Pelletier d’Aulnay, ancien officier général, petit-fils de Vauban, se rendirent ã l’église des Invalides pour déposer le cœur du maréchal, qui y reste placé sous son buste, en face du tombeau de Turenne. Carnot, le général

  1. Les oisivetés ont été publiées en l913, Paris, Corréard, 4 vol. in-8°.
  2. D’après le calcul qu’on a fait, Vauban aurait travaillé à trois cents places ou forteresses anciennes ; construit trente-trois nouvelles, conduit cinquante-trois sièges et se serait trouvé à cent quarante actions de vigueur.
  3. Voltaire, Siècle de Louis XIV.
  4. Fontenelle, Éloge de Vauban.