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fantassins : il ne s’exemptait d’aucune des fatigues militaires : aussi n’entendait-on pas le moindre murmure parmi ses troupes, quelque hardies et quelque pénibles que fussent ses entreprises. Tant d’actions brillantes, dont la renommée, en arrivant à Rome, acquérait par l’éloignement un caractère merveilleux, excitèrent l’enthousiasme du peuple et du sénat : des sacrifices solennels d’actions de grâces furent ordonnés, et les surnoms glorieux d’Arménique et de Parthique furent ajoutés à tous les titres de Trajan. C’est encore à cette année 114[1] que l’on rapporte une expédition de ce prince dans l’Arabie Pétrée, dont les habitants s’étaient soulevés, et qu’il força de recevoir un gouverneur romain. Tant de prospérités auraient pu lui faire oublier qu’il était homme ; mais l'hiver qu’il passa a Antioche fut marqué par un tremblement de terre qui renversa cette capitale et presque toutes les villes de Syrie ; l’empereur lui-même n’évita la mort qu’en se sauvant par une fenêtre et se retira dans le cirque, où il fut contraint de camper pendant plusieurs jours sous la tente. Les chronologistes éprouvent de l’embarras à placer une expédition de Trajan contre quelques peuples barbares qui habitaient au nord de l’Arménie. Il est au moins certain qu’elle précéda ou suivit immédiatement le tremblement de terre qui désola l’Orient. Quoi qu’il en soit, ce prince porta ses aigles victorieuses entre le Pont-Euxin et la mer Caspienne, donna un roi aux Albaniens et força les princes de l’Ibérie et de la Colchide à se soumettre. Lucius Quietus, habile lieutenant, qui l’avait déjà glorieusement secondé dans la guerre contre les Daces et dans la dernière campagne en Mésopotamie, vainquit, sous les ordres de Trajan, les Mardes, peuple belliqueux et féroce, habitant au nord de la Médie et qui, quatre siècles auparavant, avait éprouvé les armes d’Alexandre. Ce fut l’an 115 que l’émule sexagénaire du jeune héros de Pella fit une seconde campagne contre les Parthes. Au moment de son départ, cédant aux sollicitations de ses amis, il interrogea l’oracle d’Héliopolis, en Phénicie, qui avait alors beaucoup de vogue ; mais avant d’accorder sa confiance au dieu, il voulut le mettre à l’épreuve et donna aux prêtres un papier blanc cacheté, en lui demandant sa réponse sur le contenu. Les prêtres surent décacheter le papier sans qu’il y parût et lui en firent passer un semblable pour réponse. Alors il crut à l’oracle et le consulta sérieusement sur le succès de la guerre. On lui répondit par un de ces symboles susceptibles de toute interprétation : c’était une baguette de sarment brisée en mille morceaux. Trajan mourut à la suite de cette expédition, sans avoir revu Rome, et la baguette, ainsi rompue, fut regardée comme le présage sinistre de son corps réduit en cendres. S’il fût revenu vainqueur, les sarments brisés eussent aussi facilement pu se prendre pour le symbole heureux de cette foule d’ennemis qu’avaient domptés ses armes. Trajan dirigea sa marche vers l’Adiabène, partie septentrionale de la Syrie, au delà du Tigre ; mais il se trouva arrêté par ce fleuve, dont les Parthes étaient résolus de défendre le passage. L’embarras était de jeter un pont, la contrée riveraine étant dénuée de bois de construction. Trajan, qui avait su se ménager dans la ville de Nisibe, conquise l’année précédente, une place d’armes et un point d’appui pour les derrières de son armée, fit construire dans les forêts qui entouraient cette cité un grand nombre de pontons : on les transporta sur des chariots jusqu’au bord du fleuve, et quand on les eut lancés à l’eau, les barbares, surpris autant qu’effrayés de cette multitude de navires, prirent la fuite, et le passage s’effectua sans obstacle, vis-a-vis des montagnes des Carduques. Trajan soumit sans peine l’Adiabène et toute l’Assyrie. Il allait donc entrer en triomphe dans les villes d’Arbèle et de Gaugamèle, si fameuses par la victoire d’Alexandre! Revenant sur ses pas, il repassa le Tigre et descendit vers le pays de Babylone sans éprouver de résistance. Les Parthes, affaiblis par de sanglantes divisions intestines, paraissaient avoir perdu jusqu’au souvenir de leur valeur devant un si redoutable ennemi, et Trajan semblait plutôt voyager que combattre. Il visita avec intérêt Babylone, qui n’était plus que l’ombre d’elle-même, et vit la source de bitume qui avait servi à la construction de ses merveilleux édifices. Pour achever d’accabler les Parthes, il ne restait plus qu’à conquérir Ctésiphon, leur capitale ; mais il lui fallait passer une seconde fois le Tigre, et pour transporter plus facilement les matériaux nécessaires à la construction d’un nouveau pont, il songeait à prolonger jusqu’à ce fleuve le Naarmalcha, ancien canal dérivé de l’Euphrate par les rois de Babylone ; mais il renonça à cette entreprise dès qu’il eut reconnu que le niveau de ce dernier fleuve s’élevait beaucoup au-dessus du niveau du Tigre. Il n’eut qu’à paraître devant Ctésiphon pour s’en rendre maître. Suze, ancienne métropole des Perses, lui ouvrit ses portes : c’est probablement dans l’une ou l’autre de ces capitales que la fille du roi Chosroès et le fameux trône d’or sur lequel le grand roi recevait l’hommage de ses sujets tombèrent au pouvoir de Trajan. « Chaque jour, dit Gibbon, le sénat étonné entendait parler de noms jusqu’alors inconnus et de nouveaux peuples qui reconnaissaient la puissance de Rome. » C’est ce qui explique pourquoi, en lui confirmant le titre de Parthique, ce corps lui décerna autant de triomphes qu’il en voudrait. Montesquieu parle avec une admi-

  1. Plusieurs auteurs, tels que Tillemont, Crévier, Laurent Echard, mettent aux années 107 et 108 la première expédition de Trajan en Orient ; mais ils se trompent au jugement de Longuerue, de Muratori, des auteurs de l’Art de vérifier les dates et de plusieurs érudits allemands, tels que Sehult, Conrad Maunert, Heeren, etc.