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néanmoins d’avoir provoqué d’injustes destitutions, on le fit passer à la préfecture de la Côte-d’Or, où, à l’occasion de la présence de la duchesse d’Angoulême, il releva, le 9 août 1816, plusieurs suspects politiques de la surveillance qui pesait sur eux. Il fut préfet de la Moselle en 1817, et préfet de la Somme en 1821. Il eut ensuite la préfecture de Seine-et-Oise, qu’il ne quitta que pour devenir pair de France sous le roi Charles X. Le comte de Tocqueville avait épousé une fille du président de Rosambo, gendre de Malesherbes. Il mourut en 1856. On a de lui :

1e De la charte provinciale, Paris, 1829, in-8o ;

2e Du crédit agricole et de ses effets, Compiègne, in-8o ;

3e Pétition aux deux chambres relative à madame la duchesse de Berry, 1832, in-18 ;

4e Histoire philosophique du règne de Louis XV, vol. in-8o ;

5e Coup d’œil sur le règne de Louis XVI, 1 vol. in-8o.

Z.



TOCQUEVILLE (Alexis-Charles-Henri Clerel de), homme politique et publiciste français, fils du précédent, naquit à Paris, le 29 juillet 1805. Sa mère, née de Rosambo, était petite-fille de Malesherbes, et son père (voy. l’article précédent) fut un administrateur intègre et en même temps un historien de mérite. Les études primaires d’Alexis furent assez minces ; plus tard il entra au collège de Metz, au temps où son père était préfet de la Moselle. D’abord faible dans les langues anciennes, il se fit remarquer dans les compositions françaises, ainsi que l’a consigné pieusement l’académie de Metz, soucieuse, comme cela arrive à la suite d’un renom acquis, de rappeler en quoi Tocqueville faisait honneur à la ville où il avait étudié. Au sortir du collège, il préluda dans la vie par des voyages, de même que c’est à des voyages qu’il dut plus tard sa célébrité. Il parcourut l’Italie et visita la Sicile avec la curiosité et l’activité d’esprit de l’homme qui tient à comparer et à connaître la raison des choses. En effet, à peine est-il sur cette terre des grands souvenirs, qu’il explore, comme tous les touristes d’ailleurs, les musées, les monuments ; il se rend compte des principes de l’architecture antique. Rome lui fournit une sorte de première inspiration que l’on pourrait appeler virgilienne : il suppose qu’un jour d’exploration dans la ville éternelle il gravit le Capitole, du côté du Campo-Vaccino ; que là, succombant à la lassitude, il se laisse tomber à terre et s’endort. À ce moment apparaît devant lui l’ancienne Rome, libre, puissante et héroïque, avec tout son cortège de grands hommes et de hauts faits depuis la fondation de la république jusqu’au meurtre de César. Mais soudain, de cette vision grandiose le voyageur est transporté et se réveille au sein de ce qui n’avait rien d’héroïque, une procession de moines déchaux montant les degrés du Capitole pour se rendre à leur église, pendant qu’un pâtre fait sonner sa clochette pour rassembler son troupeau. L’homme qui devait écrire les prodiges de

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la démocratie en Amérique faisait pressentir dans cette œuvre juvénile, qui ressemblait à une amplification de rhétorique, tout l’intérêt qu’il prendrait un jour aux destins des peuples. Ce n’est pas qu’il se méprît sur la portée de l’opuscule que lui inspira son voyage, car il écrivit de sa main sur l’enveloppe de l’un des manuscrits où il avait consigné ses observations ce jugement qui indiquait sa future sévérité pour lui-même : « Très-médiocre. » L’aspect de la Sicile et d’un gouvernement qui ne la rendait point florissante était également de nature à inspirer des réflexions sérieuses au jeune voyageur. Il y était encore quand une ordonnance royale, en date du 5 avril 1827, qui le nommait juge auditeur au tribunal de Versailles, où son père était préfet, le rappela en France. Les fonctions de juge auditeur, transformées depuis en celles de juge suppléant, eussent été une sinécure pour Tocqueville, s’il n’avait pas demandé de prendre part aux travaux du ministère public. C’est à l’occasion de ces fonctions qu’il connut M. Gustave de Beaumont, alors substitut au même siège, et avec qui il devait contracter une amitié destinée a durer autant que la vie de chacun de ces deux confrères, devenus depuis deux collaborateurs. Toutefois, l’esprit de Tocqueville porté à généraliser ses idées se sentait mal à l’aise dans une spécialité. Aussi bien, à l’issue de son devoir judiciaire du jour, avait-il hâte de rentrer par l’étude dans le domaine moins étroit de la politique et de l’histoire. Il observa, sans y prendre part, les tendances de l’opinion dans les dernières années de la restauration. Mais en 1830 il fit un premier pas vers une politique précise en se ralliant au gouvernement de juillet et à la charte modifiée qui en fut le point de départ. Entre toutes les questions qui préoccupaient alors les esprits, il y en avait une dont longtemps encore, on devait chercher la solution, à savoir, la question du régime à appliquer aux prisons. Alexis de Tocqueville et son ami M. Gustave de Beaumont offrirent au gouvernement d’aller étudier le système pénitentiaire en Amérique, où, avec la promptitude des sociétés jeunes et démocratiques, on avait laissé depuis longtemps la théorie pour une pratique sérieuse. Ils obtinrent là mission qu’ils sollicitaient, quoique, au rapport même de l’un des commissaires, M. de Beaumont, devenu depuis le biographe de son ami, « l’objet véritable et prémédité fût l’étude des institutions et des mœurs de la société américaine. » Arrivés aux Etats-Unis le 10 mai 1831, les commissaires s’acquittèrent religieusement de leur mandat. Ils visitèrent les maisons pénitentiaires, étudièrent sur place les deux systèmes fondamentaux, mais opposés, incarnés pour ainsi dire : l’un, l’isolement de jour et de nuit, coupé par des visites nécessaires, dans le pénitencier de Cherry-Hill ; l’autre, l’isolement de nuit seulement et le travail en commun le jour,