nistère. Sa fortune n’en devint cependant pas beaucoup plus brillante. La reine Anne le flatta un instant de l’espoir d’un évêché ; mais cette princesse, ayant entendu décrier les opinions religieuses du doyen de St-Patrick, ne voulut plus qu’on lui parlât de lui (1)[1]. Swift prit le parti de retourner en Irlande. Son doyenné lui rapportant plus de mille livres sterling, il chercha dans les plaisirs de la société et de la table à se consoler de la nullité politique où il était tombé. Stella continuait à faire les honneurs de sa maison, quoiqu’il crût toujours devoir la tenir dans une habitation séparée. Au bout de seize ans, il se résolut enfin à l’épouser. Le mariage fut béni par l’évêque de Clogher ; mais ce qui est resté incompréhensible jusqu’à ce jour, c’est que Swift, en prenant Stella pour sa femme, ne cessa pas de la traiter comme lorsqu’elle n’était encore que son amie. Leur union, a dit un écrivain du temps, était toute platonique. C’est à cette époque qu’eut lieu une aventure amoureuse où le doyen se montra nou moins bizarre que dans ses relations avec Stella. Il avait fait à Londres la connaissance d’une jeune Hollandaise, nommée Esther Van Homrigh, qu’il a célébrée dans un de ses poëmes sous le nom de Vanessa. Charmée d’abord de l’esprit de Swift, Esther devint bientôt tellement éprise de sa personne qu’elle lui proposa de l’épouser. Il éluda ses offres par des plaisanteries ; elle le suivit néanmoins en Irlande. et il lui rendait des visites assidues ; mais dès qu’il s’aperçut qu’elle voulait renouveler ses propositions de mariage, il lui remit, de sa propre main (2)[2], une lettre de Stella qui ne lui permettait plus le moindre espoir. Esther apprit, peu de temps après, l’union du doyen avec Stella : l’excès du chagrin la conduisit promptement au tombeau. Vu d’un œil peu favorable à son retour en Irlande, comme le partisan déclaré du ministère anglais, Swift trouva et saisit l’occasion de se rendre tout à coup extrêmement populaire. Une émission considérable de monnaie de bas aloi jetait l’alarme dans la classe manufacturière z le doyen de St-Patrick écrivit ses Lettres du Drapier, pour démontrer l’inconvénient de cette mesure (3)[3]. De ce moment, il devint l’idole du peuple
(1) Il y avait une autre cause d’insuccès. Le doyen de St Patrick avait ose parler des cheveux rouges de la duchesse de Somerset, amie de la reine. Il méritait moins de rigueur de la part du gouvernement. Lorsque le pouvoir échappa aux whigs pour passer aux tories, il faut voir avec quelle virulence Swift attaqua les premiers dans le no 28 de l’ Examiner, fondé par le parti contraire. Il tourna Marlborough en ridicule par son avarice... « Exemple, ajoutait-il, cette fameuse paire de bretelles Que toute l’éloquence du monde ne pouvait décider le noble duc à laisser couper, quoique, glacées et mouillées, elles missent sa vie en danger. » R―LD.
(2) La manière dont il remit à Esther cette lettre mérite d’être rapportée. Il entra chez elle ne lui donnant même point le temps de l’interroger. Il jeta la lettre sur la table et sortit sans dire mot. R―LD.
(3) Il l’attaqua avec éloquence : « Pour moi, disait-il, qui ai une bonne boutique pleine de drap, je changerai avec mes voisins marchandise pour marchandise plutôt que de prendre le mauvais cuivre de M Wood (le fermier de la monnaie). » Tout le reste est sur ce ton vif et à bout portant. Le pamphlétaire fit si bien, qu’enfin le contrat intervenu entre le gou
irlandais. Un attrait irrésistible la ramenait cependant
assez fréquemment en Angleterre ; il y
avait contracté une liaison intime avec Pope. Ces
voyages semblaient être pour lui une distraction
nécessaire depuis la mort prématurée de cette
Stella, objet apparent de toute sa tendresse et
victime trop réelle de la négligence où il la
laissa languir. Les amis de Swift ont allégué pour
excuse de sa froideur et de ses bizarreries envers
deux jeunes femmes qui l’avaient tant aimé, un
défaut de constitution physique semblable à
celui dont était affligé Boileau ; mais du moins
Boileau n’eut point la cruauté de recevoir les
serments d’une femme, de la réduire à la condition
d’esclave et de la faire périr de honte et de
regrets. La triste fin de Stella rendit son insensible
époux un objet d’horreur pour ses amis les
plus familiers. Délaissé, attaqué d’une goutte et
d’une surdité toujours croissante, il se livra plus
que jamais à la misanthropie et au cynisme, qui
faisaient le fond de son caractère. Des attaques
réitérées d’apoplexie influèrent tellement sur ses
facultés intellectuelles que, dans les neuf dernières
années de son existence, il mena une vie
presque purement animale. Ses yeux, recouverts
par des tumeurs, lui causaient des douleurs si
cruelles que, plus d’une fois, il voulut les arracher
de ses propres mains. La mort le délivra enfin de
tant de maux, le 29 octobre 1745 : il était sur
le point d’accomplir sa 78° année. Le chapitre
dont il était le doyen le fit enterrer dans la cathédrale
de St-Patrick. Voici le portrait qu’a laissé
de ce singulier personnage un homme qui avait
vécu dans son intimité : « Swift semblait être
un composé de tous les extrêmes. Il mettait
une sorte de modestie à ne jamais parler plus
d’une minute de suite ; mais il s’emportait si
quelqu’un l’interrompait par une seule observation
ou par un éternuement. Grand amateur
de pointes et de jeux de mots, il ne s’en permettait
jamais qui blessassent la décence ou la
religion ; mais, la plume à la main, il ne connaissait
plus de bornes. Il se plaisait beaucoup
au milieu de plusieurs femmes, et il ne pouvait
cacher sa répugnance à se trouver tête à
tete avec les plus aimables et les plus jolies.
Personne ne se montra plus sensible que lui
aux prévenances des grands, et on le vit mille
fois rechercher la société des gens de la dernière
classe du peuple. En voyage, il s’arrêtait de préférence dans les auberges où il était
sûr de trouver pour commensaux des routiers
et des portefaix. » Swift a beaucoup écrit : les
éditions complètes de ses œuvres ne comptent pas
moins de dix-huit à vingt volumes ; mais peu de
ses productions trouvent encore des lecteurs. On
ne connaît même généralement en France que
deux de ses ouvrages : le Conte du tonneau et les
vernement et Wood fut résilié. Dans un autre pamphlet, également adressé (1720) à ses compatriotes, il leur conseillait de ne consommer que leurs produits manufacturiers. R―LD.
- ↑ (1) Il y avait une autre cause d’insuccès. Le doyen de St Patrick avait ose parler des cheveux rouges de la duchesse de Somerset, amie de la reine. Il méritait moins de rigueur de la part du gouvernement. Lorsque le pouvoir échappa aux whigs pour passer aux tories, il faut voir avec quelle virulence Swift attaqua les premiers dans le no 28 de l’ Examiner, fondé par le parti contraire. Il tourna Marlborough en ridicule par son avarice... « Exemple, ajoutait-il, cette fameuse paire de bretelles Que toute l’éloquence du monde ne pouvait décider le noble duc à laisser couper, quoique, glacées et mouillées, elles missent sa vie en danger. » R―LD.
- ↑ (2) La manière dont il remit à Esther cette lettre mérite d’être rapportée. Il entra chez elle ne lui donnant même point le temps de l’interroger. Il jeta la lettre sur la table et sortit sans dire mot. R―LD.
- ↑ (3) Il l’attaqua avec éloquence : « Pour moi, disait-il, qui ai une bonne boutique pleine de drap, je changerai avec mes voisins marchandise pour marchandise plutôt que de prendre le mauvais cuivre de M Wood (le fermier de la monnaie). » Tout le reste est sur ce ton vif et à bout portant. Le pamphlétaire fit si bien, qu’enfin le contrat intervenu entre le gouvernement et Wood fut résilié. Dans un autre pamphlet, également adressé (1720) à ses compatriotes, il leur conseillait de ne consommer que leurs produits manufacturiers. R―LD.