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cipalement à la morale qu’ils renferment. Les principaux, parmi ces instituteurs, étaient Aug.-Herm. Frank. (voy. son article), qui par la suite devint célèbre, Paul-Antoine et J.-Gasp. Schaden : le premier avait été commensal de Spener. La jeunesse nombreuse qui fréquenta ses cours se distingua à la vérité par des mœurs régulières et une grande assiduité aux exercices religieux, mais aussi par la sévérité avec laquelle elle se refusait les plaisirs et les amusements, même les plus innocents, et, il faut l’avouer, par une certaine affectation dans le costume et l’extérieur. On les désigna par le sobriquet de piétistes, et ils devinrent un objet de plaisanteries. L’espèce de persécution à laquelle ces disciples de Franke furent exposés en fit une secte qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours (1)[1]. Jean-Benoît Carpzov, célèbre professeur de Leipsick, fut le premier qui écrivit contre les piétistes ; il attaqua indirectement Spener, qui avait perdu les bonnes grâces de l’électeur en lui adressant une lettre respectueuse et touchante, mais très-énergique, pour lui reprocher le débordement de ses moeurs. Jean-Georges, prévenu dès lors contre les nouveaux docteurs et contre Franke en particulier, défendit les réunions religieuses, que son ordonnance qualifie de conventicules, et témoigna sa haine contre le piétisme. Dans ces circonstances, Spener, pour manifester d’une manière solennelle son attachement aux principes du luthéranisme, soigna une réimpression de la Rodosophe ou dogmatique de son maître, le rigide Dannhauer, et il y joignit, en forme de préface, une diatribe sur les vices des études théologiques, ouvrage écrit à la fois avec force et avec mesure, dans lequel il approuve la méthode d’enseignement de ses disciples à Leipsick. Depuis ee moment, l’électeur ne lui permit plus de paraître devant lui, et il affecta même de ne pas assister à ses sermons, ce qui décida Spener à accepter, en 1690, la place d’inspecteur et premier pasteur à l’église de St-Nicolas, à Berlin. Son nouveau souverain, l’électeur de Brandebourg, ayant fondé, en 1692, l’université de Halle, la réforme proposée par Spener y fut complètement introduite. Franke, Antoine et Joachim Breithaupt, qui étaient aussi du nombre de ses disciples, y obtinrent des chaires de théologie ; un des plus profonds penseurs de son temps, Christ. Thomasius (voy. THOMASIUS), y fut également appelé. Halle devint alors le centre du piétisme, et tous les luthériens d’Allemagne se partagèrent en deux partis opposés (2)[2]. Les universités de la Saxe, s’arrogeant le titre d’or

(1) Le grand Frédéric les appelait les jansénistes du protestantisme, et disait qu’il ne leur manquait qu’un tombeau du diacre Pâris et un abbé Bercherand pour gambader comme ceux du cimetière de St-Médard. Voy. Sur cette secte les Mélanges de philosophie, d’histoire, etc. (suite des Annales catholiques, t. 10, p. 173, et surtout l’Histoire des sectes religieuses, par Grégoire, t. 1er, p. 293.

(2) L’école wolfienne, dit Grégoire, combattit le piétisme et se porta elle-même à un excès contraire en combattant la religion.


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thodoxes, vouèrent au mépris le parti qui dominait à Halle et était nommé piétiste ou spenerien. Les docteurs de Wittemberg publièrent un ouvrage dans lequel ils dénoncèrent deux cent soixante-quatre thèses hérétiques, extraites des livres de Spener. Celui-ci se justifia avec une grande supériorité de talent par un gros volume in-4o, qu’il publia en 1695, sous le titre d’Accord véritable avec la confession d’Augsbourg. A Berlin, Spener eut le chagrin de voir s’élever une dispute religieuse qui, sans sa modération et sa prudence, aurait peut-être fini par une émeute populaire. Les réformateurs du 16e siècle avaient conservé, avec quelques modifications, la confession auriculaire comme une préparation à la communion et comme un moyen d’entretenir des rapports confidentiels entre les pasteurs et leurs ouailles. Schaden, qui de Leipsick avait été appelé comme prédicateur à Berlin, croyant avoir remarqué que le peuple se faisait illusion sur l’efficacité de l’absolution donnée par les pasteurs à leurs pénitents, se fit conscience de perpétuer cette erreur et refusa d’entendre la confession. Comme il trouva des partisans, il en résulta un schisme et une dispute extrêmement passionnée, à laquelle tout le peuple de Berlin prit part. Spener parvint cependant à calmer les esprits, en faisant décider qu’il serait libre aux fidèles de faire précéder la communion par une confession auriculaire ou de se passer de cette formalité. Cette décision, parfaitement conforme à l’esprit du protestantisme, qui n’admet pas l’absolution dans le sens de l’Eglise, fit successivement tomber la confession en désuétude. Frédéric-Auguste Ier, qui était parvenu, en 1694, à l’électorat de Saxe, pressa vainement Spener de venir reprendre ses anciennes fonctions à Dresde. Il ne voulut plus quitter Berlin, où il mourut le 5 février 1705, laissant une réputation bien établie de bonté, de candeur et de piété, ainsi que celle d’un savant profond, d’un écrivain éloquent et d’un grand théologien. Quelques-unes de ses opinions ne sont pas entièrement conformes aux livres symboliques des luthériens : celle qui, élevant la théologie au-dessus d’une science, en faisait une lumière intérieure, parut conduire au mysticisme, et il sembla se rapprocher de l’Eglise catholique par le mérite qu’il accordait aux bonnes œuvres. Ses idées sur une seconde venue du Christ formèrent tout à fait une nouvelle croyance. Il existe plusieurs biographies de Spener. Lui-même a laissé un précis manuscrit de sa vie, qui servit de base à une notice que son ami le baron de Canstein publia à la tête des Dernières Réponses théologiques de Spener. Cette notice fut réimprimée deux fois en 1740, savoir : à Halle, in-8o, avec des observations de Joachim Lange, et à Magdebourg, in-4o, avec beaucoup d’augmentations, par Jean-Adam Steinmetz. Le docteur Knapp en a inséré un extrait dans le Biographe, recueil qui parut à Berlin au com-

  1. (1) Le grand Frédéric les appelait les jansénistes du protestantisme, et disait qu’il ne leur manquait qu’un tombeau du diacre Pâris et un abbé Bercherand pour gambader comme ceux du cimetière de St-Médard. Voy. Sur cette secte les Mélanges de philosophie, d’histoire, etc. (suite des Annales catholiques, t. 10, p. 173, et surtout l’Histoire des sectes religieuses, par Grégoire, t. 1er, p. 293.
  2. (2) L’école wolfienne, dit Grégoire, combattit le piétisme et se porta elle-même à un excès contraire en combattant la religion.