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du chapelain une éducation littéraire très-distinguée. Un événement fort simple frappa vivement son imagination, à l’àge de treize ans et y laissa une impression qui ne s’effaça jamais. Dans un précis de sa vie, rédigé par lui-même, qu’on trouva parmi ses papiers après sa mort, il raconte qu’à cette époque il fut appelé au lit de mort de la comtesse douairière de Ribeaupierre, qui, l’ayant tenu sur les fonts baptismaux, l’aimait d’une tendresse de mère et s’était beaucoup occupée de son éducation. Cette dame fit un effort inutile pour lui parler ; mail il crut entendre par ses mouvements qu’elle voulait l’exhorter à rester fidèle aux principes qu’elle lui avait inspirés. Dans ce moment solennel, le jeune homme prit avec lui-même l’engagement de consacrer toute son existence au service de Dieu. Cette disposition fut nourrie en lui par la lecture assidue de la Pratique de piété de Thomas Bailey, dont il traduisit divers passages en vers allemands. A l’âge de quinze ans, il fut envoyé au gymnase de Colmar pour y continuer ses études, et, après y avoir passé une année, il fut jugé capable de fréquenter l’université de Strasbourg, où il se livra à l’étude de la théologie. Cette ville possédait deux célèbres professeurs, Sébastien Schmidt et Jean-Conrad Dannhauer, l’un et l’autre zélés luthériens et ennemis fanatiques du système calviniste, qu’on appelle en Allemagne réformé. Tout en suivant les cours de ces maîtres, Spener ne négligea pas de se perfectionner dans les langues anciennes ; il s’appliqua aussi avec zèle à l’hébreu et, ce qui était rare alors, à l’arabe. Les diverses branches de philosophie l’intéressaient vivement ; il lut à plusieurs reprises l’ouvrage de Grotius sur le droit de la guerre et de la paix. Enfin il s’occupa avec une prédilection marquée de l’histoire de sa nation, où il devait un jour frayer de nouvelles routes. Après avoir soutenu une dissertation contre les erreurs de Hobbes, il prit, à l’âge de dix-huit ans, les grades académiques en philosophie et fut nommé, en 1654, instituteur de deux princes de Birkenfeld, avec lesquels il revint à Strasbourg, où il passa deux années. Le père de ces princes, qui appartenait à une maison électorale, voulait que ses fils s’appliquassent de préférence à la connaissance des généalogies. Cette circonstance fut cause des recherches de Spener dans cette partie. Depuis 1659 jusqu’en 1662, il fit des voyages en Allemagne, en Suisse et en France. A Bâle, il étudia l’hébreu sous le fameux Buxtorf. A Lyon, il connut le P. Ménestrier, qui lui inspira du goût pour le blason, science que Spener transporta en Allemagne. Le sénat de Strasbourg lui avait destiné une chaire d’histoire ; en attendant qu’elle devînt vacante, on lui offrit, en 1662, un emploi secondaire de prédicateur. Il l’accepta et prit, en 1664, le grade de docteur en théologie, le jour même où il épousait Suzanne Erhard, fille d’un des premiers

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magistrats de Strasbourg. Bientôt il acquit une si grande réputation par son éloquence, par la pureté de ses mœurs et par sa piété qu’en 1666 le sénat de Francfort lui offrit la première place parmi les pasteurs de cette ville. Il n’accepta ni ne refusa une proposition si honorable, laissant aux chefs des deux républiques le pouvoir de disposer de lui. Ceux de Strasbourg décidèrent qu’il devait entrer dans la carrière qui s’ouvrait devant lui. Les vingt années de son séjour à Francfort furent les plus actives et les plus heureuses de sa vie. Il y posa les fondements de la révolution qu’il se crut appelé à opérer et s’y attira aussi des tribulations par un zèle que l’expérience ne lui avait pas appris à modérer. Le caractère particulier des théologiens luthériens de cette époque était une haine fanatique, moins pour l’Eglise dont ils s’étaient séparés que pour leurs confrères calvinistes, dont la croyance ne différait pas essentiellement de la leur. Cet esprit d’intolérance avait été inspiré à Spener par les professeurs de Strasbourg, ses maîtres : il en donna une preuve en désignant les réformés, dans un de ses sermons, comme les faux prophètes qui, d’après l’Evangile, sont des loups couverts de la peau de brebis. Les réformés, exclus par la constitution de toute participation au gouvernement de Francfort, y formaient cependant la classe la plus riche et la plus considérée de la bourgeoisie. Leur ressentiment contre le prédicateur indiscret lui attira des désagréments qui le corrigèrent. Il changea si complètement à cet égard qu’un des plus grands reproches que ses adversaires lui firent par la suite était la tolérance qu’il montrait envers les hétérodoxes. Dès lors il ne dirigea plus ses prédications que contre les vices, l’immoralité et les préjugés. La théologie des protestants à cette époque n’était qu’une vaine érudition scolastique, une science purement mondaine. Spener regardait la véritable théologie comme une lumière venue d’en haut, mais qu’on ne pouvait recevoir sans être régénéré par la foi et pénétré d’une véritable piété. Quoiqu’il eût approfondi toutes les parties de la philosophie, ou peut-être pour cette raison même, il voulait exclure de la théologie tout système philosophique et particulièrement celui d’Aristote ; il attribuait à la vogue de ce système la corruption qui avait envahi l’Eglise, l’intolérance et l’esprit querelleur de ses ministres, enfin la décadence du christianisme. Convaincu que les prédications, qui constituaient l’essence du culte protestant, ne peuvent produire beaucoup d’effet sur les masses, il institua chez lui, en 1670, des assemblées particulières, dans lesquelles, après des actes de dévotion, il répétait, d’une manière populaire et sommaire, le contenu de ses sermons et expliquait quelques versets du Nouveau Testament, sur lesquels il permettait à chaque auditeur de proposer avec simplicité des doutes et demander des éclair-