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faite de sa Morale appliquée à la politique. L’auteur dit que, sans avoir la prétention d’ajouter un supplément au Cours de littérature de Laharpe, il s’est pourtant attaché (dans ces trois volumes de fragments écrits il y a longtemps, et qui devaient faire partie d’un ouvrage beaucoup plus long, que diverses circonstances de sa vie ne lui ont pas permis de conduire à sa fin) « à parler avec plus d’étendue, quand l’occasion s’en est présentée, des écrivains dont Laharpe n’a rien dit, ou dont il n’a parlé que d’une manière succincte, ou enfin dont il a pu avoir une opinion différente de la sienne. » On chercherait en vain l’inspiration, la verve poétique dans les vers de Boissy d’Anglas : il faut se contenter d’y trouver, au lieu de l’empreinte du vrai talent, celle de la vertu exercée dans une belle vie, où la versification ne fut que le repos du sage, et une illusion souvent cherchée aussi par d’autres écrivains dans les derniers loisirs de la vieillesse. Mais la plupart des notices historiques et les Fragments d’une histoire de la, littérature française offrent assez souvent, avec le mérite d’un style facile, des jugements solides, de sages aperçus, de l’intérêt et de la variété. Cet intérêt et cette variété ne manquent pas souvent aux nombreuses notes, beaucoup plus amples que le texte, dans les deux premiers volumes qui contiennent les vers de l’auteur. Fidèle à la mémoire de Rabaut de St-Étienne, son ancien ami, Boissy fit réimprimer tous ses ouvrages à Coulommiers. (Voy. RABAUT). Le noble pair annonça la même année [(1826) une nouvelle édition des Sermons complets de Jacques Saurin, avec une notice sur sa, vie et ses écrits, en 6 vol. in-8o. Le prospectus fut publié peu de mois avant la mort de Boissy ; mais l’édition n’a point paru. Dans la publication des discours et opinions de Mirabeau faite en 1820 (5 vol. in-8o), par M. Barthe, on trouve un Parallèle de Mirabeau et du cardinal de Retz, par Boissy d’Anglas. Ses dernières paroles à la chambre des pairs appuyèrent un amendement proposé par M. de Kergorlay à l’article 1er du projet de loi sur l’indemnité du milliard qui fut accordé aux émigrés (1825). ― Boissy présida l’administration de l’Athénée royal avec un zèle sage et intelligent (1825-1824). L’affaiblissement de sa santé, qui avait pour cause (depuis reconnue) une maladie au cœur, lui fit chercher le ciel du Midi. Il passa à Nîmes l’hiver de 1824 à 1825, et voulut revoir la ville où il avait reçu le jour. Les habitants d’Annonay se montrèrent également fiers et joyeux de sa présence. ― Il habita pour la dernière fois l’humble toit paternel, qui avait été religieusement conservé dans sa simplicité première. Il revint à Paris et y mourut le 20 octobre 1826, âgé de 70 ans. Son corps fut transporté à Annonay, conformément à sa dernière volonté. Le plus jeune de ses fils, M. le baron-Théophile de Boissy d’Anglas, qui, en 1814, était dans l’intendance militaire (1)[1], accompagna son convoi.

(1) En 1814, après la restauration, M. le baron Théophile de Boissy d’Anglas fut un des sous-inspecteurs le plus activement employés dans la revue générale des officiers de l’armée ci-devant im-

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La garde nationale et la population du chef-lieu de l’Ardèche allèrent recevoir, hors des portes de la ville, les restes mortels du grand citoyen ; ils furent déposés dans le cimetière public, et celui qui prononça l’éloge funèbre (1)[2] était le fils du général d’Ayme, qui trente-sept ans auparavant, en 1789, lors de la réunion des trois ordres du Vivarais, avait proclamé Boissy d’Anglas député du tiers aux états généraux. ― Orateur, Boissy-d’Anglas dut souvent la puissance de sa parole à l’indignation de la vertu devant les crimes des factions, à l’aspect des dangers et des malheurs de la patrie. Lorsqu’il n’était point ému, ses discours manquaient de nerf et de chaleur, mais jamais de solidité, de sens et de conviction. Un léger bégaiement nuisait d’ailleurs à son accentuation oratoire ; et de mauvais plaisants l’appelaient, avant les temps de l’empire, l’orateur Babébibobu ; ils avaient aussi donné cette épithète burlesque à sa constitution de l’an 3. Homme de lettres, Boissy brillait moins par le double éclat du style et de la pensée que par une raison éclairée et une franchise qui n’était point sans attrait. Homme d’Etat, il eût pu combattre avec plus de force les premiers envahissements de l’anarchie : d’autres l’avaient osé. Il eût pu montrer plus de stoïcisme en face du pouvoir qui brisa sa constitution et la république : d’autres l’avaient osé encore. Il eût pu rejeter les faveurs du despotisme : d’autres, en bien petit nombre, l’avaient fait. Il eût pu montrer des principes plus inflexibles : d’autres l’avaient fait encore. Mais nul ne fut plus courageux que lui à certaines époques : il arracha plusieurs détenus à la hache du tribunal révolutionnaire. Un jour qu’il réclamait, au comité de sûreté générale, une victime dévouée à la mort : Te voilà encore, s’écria un des membres : combien te donne-t-on pour faire ce métier ? ― « Je dévorai cet outrage, disait depuis Boissy d’Anglas ; mais j’obtins la délivrance de celui pour qui je sollicitais, et je me crus bien dédommagé. » Une autre fois qu’il réclamait pour Florian, Duhem lui dit : « Tes gens de lettres sont tous aristocrates et contre-révolutionnaires, et on n’en pourra jamais rien faire de bon. Ce Voltaire, dont on parle tant, il était royaliste et aristocrate ; et il aurait émigré l’un des premiers s’il avait vécu. Et Rousseau, il n’y a qu’à lire ses écrits pour voir qu’il aurait été fédéraliste et modéré. Ton Florian ne vaut pas mieux, malgré son histoire et ses phrases (2)[3]. » Boissy d’Anglas brava les dangers de la tribune et fut proscrit sous le directoire ; enfin aucun autre citoyen n’a pu placer dans sa vie un acte d’héroïsme comparable à celui qui, en un jour (le 1er prairial an 3), l’a fait si grand dans l’histoire nationale (3)[4]. - La tête de Boissy

périale, pour le traitement en deniers qui leur était dû : il a siégé depuis dans la chambre des députés. - Le frère aîné a succédé au titre de comte et à la pairie.

(1) Cet éloge a été imprimé dans l’Indépendant, journal de Lyon, numéro du 3 novembre 1826.

(2) Revue protestante, rédigée par Charles Coquerel, t. 2, p. 188.

(3) L’éloge de Boissy d’Anglas a été prononce à la chambre des

  1. (1) En 1814, après la restauration, M. le baron Théophile de Boissy d’Anglas fut un des sous-inspecteurs le plus activement employés dans la revue générale des officiers de l’armée ci-devant impériale, pour le traitement en deniers qui leur était dû : il a siégé depuis dans la chambre des députés. - Le frère aîné a succédé au titre de comte et à la pairie.
  2. (1) Cet éloge a été imprimé dans l’Indépendant, journal de Lyon, numéro du 3 novembre 1826.
  3. (2) Revue protestante, rédigée par Charles Coquerel, t. 2, p. 188.
  4. (3) L’éloge de Boissy d’Anglas a été prononce à la chambre des pairs par Pastoret, au mois de janvier 1827. Une notice historique sur sa vie et ses ouvrages a été lue par Dacier, devant l’académie des inscriptions et belles-lettres, dans la séance publique du 27 juillet de la même année. Elle contient des détails curieux sur plusieurs points de notre histoire nationale qu’avait éclaircis la savant publiciste. (Voy. le tome 9. des Mémoires de l’académie des inscriptions et belles-lettres, p. 145 et suiv., 1831.) D-R-R.