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faveur ne lui fut point accordée ; mais en 1811, il reçut le cordon de grand officier de la Légion d’honneur. Il avait assisté à la chute de la monarchie, à celle de la république : il allait voir celle de l’empire. Tandis que, au mois de février 1814, l’Europe en armes pénétrait sur le sol de la France au nord et au midi, le comte Boissy d’Anglas fut nommé commissaire extraordinaire de l’empereur, dans l’Ouest, pour y organiser des moyens de résistance. Cette mission était importante et difficile. Les Anglais occupaient déjà la ville de Bordeaux, il empêcha les îles de Ré et d’Oléron de tomber entre leurs mains ; il préserva les établissements maritimes de Rochefort d’une ruine imminente. Le repos de la Vendée, presque inexplicable dans cette grande crise, fut peut-être aussi son ouvrage ; enfin aucun acte arbitraire ne souilla sa mission. Mais la restauration s’était accomplie dans Paris. Boissy d’Anglas envoya son adhésion, et il fut compris dans la première nomination des pairs de France, le 4 juin 1814. ― Cependant les armées d’Europe étaient venues et s’étaient retirées comme un torrent. Bonaparte avait abdiqué et semblait n’avoir été relégué dans l’île d’Elbe que pour entretenir les rêves de son ambition, les espérances de ses partisans, l’agitation et les troubles de l’intérieur qui légitimeraient une nouvelle intervention plus décisive, et l’exécution d’un plan d’énervation de la France, que d’abord on n’avait osé réaliser. En effet, bientôt Bonaparte tenta de ressaisir l’empire, et le monde fut encore ébranlé. Nommé commissaire extraordinaire dans les départements de la Gironde, des Landes et des Basses-Pyrénées, Boissy d’Anglas y réorganisa l’administration impériale, et, le 2 juin, il fut appelé à la nouvelle chambre des pairs, car le sénat n’avait pas été rétabli (1)[1]. Lorsque les destins de l’ex-empereur se furent irrévocablement accomplis dans les champs de Waterloo, Boissy d’Anglas jugea qu’il était temps de séparer la cause nationale de la personne de Na

(1) Sa conduite dans cette courte session fut trop remarquable pour que nous n’entrions pas ici dans quelques détails. Lors de la discussion du règlement, il s’éleva fortement contre la disposition qui tendait a établir que le nombre de pairs suffisant pour délibérer, qui devait être composé de la moitié en temps de paix, ne le serait que du tiers en temps de guerre, « Fera-t-on, dit-il, même dans une chambre délibérante, cette éternelle distinction du citoyen et du militaire ? Il ne siège ici ni guerriers ni magistrats, il n’y a que des pairs, et chacun a les mêmes droits. » Boissy d’Anglas se prononça de même contre le mode de faire des lois séance tenante, que proposait Roger Ducos. « Quoi ! s’écria-t-il, n’est-on pas encore revenu de cette rage de faire des lois ? L’exemple de la convention, qui, dans un seul mois, rendit des lois par centaines, sera-t-il, vingt ans plus tard, proposé et suivi par des hommes qui tant de fois ont du gémir en songeant aux extravagances de la révolution ? » Il combattit encore dans cette séance l’opinion du comte de Ségur, qui proposait d’abolir le mode de voter par scrutin secret. Il demanda encore que toutes les pétitions adressées à la chambre des pairs fussent renvoyées à une commission. Le 22 juin, il se prononça contre la motion de Labédoyère tendant à proclamer sur-le-champ Napoléon II. « Cette proposition, dit-il, est impolitique et intempestive. » Dans la fameuse séance de la nuit suivante, il s’éleva avec énergie contre Lucien Bonaparte, qui demandait d’autorité ce qu’avait proposé Labédoyère. « On nous menace de la guerre civile, s’écria Boissy ; et n’est-ce donc pas assez de la guerre étrangère qu’on nous a amenée ? » Il conclut à la nomination d’un gouvernement provisoire, sans rien préjuger sur la proposition de Labédoyère. - D-n-s.

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poléon. Une résolution des représentants déclarait traître à la patrie quiconque tenterait de dissoudre leur chambre. Cette résolution transmise par un message à la chambre des pairs y fut vivement appuyée par Boissy. Le lendemain, il combattit la proposition de proclamer Napoléon II, et demanda la formation d’un gouvernement provisoire. Une loi de police sur la liberté individuelle, mise en délibération à une époque où les événements marchaient plus vite que les discussions législatives, fut énergiquement combattue par Boissy, qui termina son discours par ces paroles remarquables : « Les circonstances où nous nous trouvons sont graves et difficiles ; notre indépendance est attaquée : peut-être nos institutions politiques sont-elles à la veille d’être renversées. Mais si elles doivent périr ; si une subversion absolue doit effacer de nos tables sacrées les lois bienfaisantes que nous avons eu tant de peine à y graver, il serait encore honorable et beau que, du sein de tant de débris, pussent s’élever, au-dessus de l’océan des âges, les restes de quelques institutions tutélaires destinées à servir de modèle et de consolation aux races futures. » Le lendemain, l’orateur devait lire à la chambre le projet d’une loi complète sur la liberté individuelle ; mais, nommé par le gouvernement provisoire un des commissaires chargés d’aller proposer au général Blücher un armistice qui ne fut pas obtenu, le comte de Latour-Maubourg lut à la chambre ce projet, où l’auteur avait voulu concilier les deux principes de la liberté individuelle et de l’ordre public ; mais ce projet ne put être discuté : la chambre n’avait plus que peu de jours à siéger. ― Le 24 juillet, Boissy d’Anglas fut compris dans l’ordonnance royale qui éliminait de la chambre les pairs nommés par Napoléon ; mais une autre ordonnance, du 17 août, le rétablit dans son titre ; et cette exception, qui fut unique à cette époque, le public l’attribua au grand caractère et à la renommée de Boissy d’Anglas. Peut-être aussi Louis XVIII voulut-il, par cette promotion, gagner les protestants à sa cause : Boissy d’Anglas était, depuis 1805, membre du consistoire de Paris, et la société biblique le comptait parmi ses vice-présidents. Déjà il appartenait à la troisième classe de l’Institut : il fut compris, le 21 mars 1816, dans la réorganisation de ce corps, et nommé membre de l’académie des inscriptions. Quand tout était changé dans la forme du gouvernement, Boissy marcha d’un pas ferme dans les voies constitutionnelles : il défendit la liberté individuelle, la liberté de la presse à la chambre des pairs, comme il les avait défendues à la convention, au conseil des cinq-cents ; et, dès 1818, il demanda que le jury fût appelé à prononcer sur les délits de la presse (1)[2]. Lors de la fameuse proposition de Bar-

(1) Opinions de MM. les comtes de Boissy d’Anglas, Lanjuinais et le duc de Broglie, relatives au projet de loi sur la liberté individuelle, Paris, 1817, in-8o de 86 p. ― Deux Discours de M. le comte de Boissy d’Anglas, pair de France : l’un sur la liberté individuelle, l’autre sur la liberté de la presse, imprimés pour la première fois en février 1817, et réimprimés au mois de février 1820, in-8o de 66 p.


  1. (1) Sa conduite dans cette courte session fut trop remarquable pour que nous n’entrions pas ici dans quelques détails. Lors de la discussion du règlement, il s’éleva fortement contre la disposition qui tendait a établir que le nombre de pairs suffisant pour délibérer, qui devait être composé de la moitié en temps de paix, ne le serait que du tiers en temps de guerre, « Fera-t-on, dit-il, même dans une chambre délibérante, cette éternelle distinction du citoyen et du militaire ? Il ne siège ici ni guerriers ni magistrats, il n’y a que des pairs, et chacun a les mêmes droits. » Boissy d’Anglas se prononça de même contre le mode de faire des lois séance tenante, que proposait Roger Ducos. « Quoi ! s’écria-t-il, n’est-on pas encore revenu de cette rage de faire des lois ? L’exemple de la convention, qui, dans un seul mois, rendit des lois par centaines, sera-t-il, vingt ans plus tard, proposé et suivi par des hommes qui tant de fois ont du gémir en songeant aux extravagances de la révolution ? » Il combattit encore dans cette séance l’opinion du comte de Ségur, qui proposait d’abolir le mode de voter par scrutin secret. Il demanda encore que toutes les pétitions adressées à la chambre des pairs fussent renvoyées à une commission. Le 22 juin, il se prononça contre la motion de Labédoyère tendant à proclamer sur-le-champ Napoléon II. « Cette proposition, dit-il, est impolitique et intempestive. » Dans la fameuse séance de la nuit suivante, il s’éleva avec énergie contre Lucien Bonaparte, qui demandait d’autorité ce qu’avait proposé Labédoyère. « On nous menace de la guerre civile, s’écria Boissy ; et n’est-ce donc pas assez de la guerre étrangère qu’on nous a amenée ? » Il conclut à la nomination d’un gouvernement provisoire, sans rien préjuger sur la proposition de Labédoyère. - D-n-s.
  2. (1) Opinions de MM. les comtes de Boissy d’Anglas, Lanjuinais et le duc de Broglie, relatives au projet de loi sur la liberté individuelle, Paris, 1817, in-8o de 86 p. ― Deux Discours de M. le comte de Boissy d’Anglas, pair de France : l’un sur la liberté individuelle, l’autre sur la liberté de la presse, imprimés pour la première fois en février 1817, et réimprimés au mois de février 1820, in-8o de 66 p.