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furent mis en liberté. Le procès du roi allait commencer : Boissy d’Anglas demanda qu’au premier murmure des citoyens dans une tribune, elle fût évacuée. Mais l’ami de Malesherbes ne le seconda point dans son généreux dévouement pour un monarque infortuné. « Je n’ai point parlé dans la discussion qui a précédé le jugement de Louis, je n’ai pas même publié de discours. » C’est en ces termes que Boissy s’exprima lui-même lorsque, le janvier 1795, il prit enfin la parole. D’ailleurs il avait voté pour la nécessité de faire ratifier par le peuple le jugement qui serait rendu ; et sur la question de la peine qui serait appliquée, il dit : « Il s’agit moins pour moi d’infliger un juste châtiment, de punir des attentats nombreux, que de procurer la paix intérieure… Je rejette donc l’opinion de ceux qui veulent faire mourir Louis… ; je vote pour que Louis soit retenu dans un lieu sûr, jusqu’à ce que la paix et la reconnaissance de la république par toutes les puissances permettent d’ordonner son bannissement hors du territoire[1]. » Après le 21 janvier, Boissy d’Anglas fit imprimer une petite brochure in-8o de 12 p., intitulée : de notre Situation présente et future. En voici le début : « La royauté est abolie, et le sang du dernier de nos rois vient de sceller la résolution prise par le peuple français d’être effacé de la terre plutôt que de n’y pas demeurer libre. » Et dans une note sur cette phrase il disait : « Je n’ai pas voté pour la mort de Louis, parce que j’ai cru cette mesure rigoureuse contraire à l’intérêt national, et j’ai dit et imprimé mes motifs ; j’avais tort, sans doute, puisque la majorité de la convention a pensé autrement. Loin de moi toute idée de séparer ma responsabilité de celle de mes collègues…, nous sommes tous solidaires envers les assassins et les rois…, et lorsqu’après être arrivés sur la terre de la liberté, nous avons brûlé nos vaisseaux, il faut vouer à l’infamie et à l’opprobre celui qui aurait conçu l’espoir de retrouver un esquif pour lui. » Boissy d’Anglas ne monta point à la tribune pendant la lutte qui s’établit entre les montagnards et les Girondins, mais il votait avec ces derniers. Avant le 31 mai, divers plans de constitution furent proposés : il en fut publié une vingtaine par divers membres de la convention. Un des plus singuliers était celui du capucin Chabot, un des plus raisonnables celui de Boissy d’Anglas. Le projet du comité avait été rédigé par Condorcet, et ce fut Condorcet qui fît le rapport : mais ni ce projet ni aucun de ceux qui avaient été imprimés en grand nombre ne purent être discutés avant la révolution du 31 mai ; et l’on sait qu’après cette révolution un autre comité de constitution fut nommé, une autre constitution adoptée, et que cette constitution, dite de 1793, fut immédiatement suspendue pour faire place au gouvernement révolutionnaire jusqu’à la paix. Boissy n’avait point approuvé la révolution du 31 mai : il vit l’oppression de la représentation nationale, et il écrivit une Lettre au citoyen Dumonts, vice-président de l’Ardèche, qui fut imprimée à Annonay. Cette lettre, datée de Paris, le 28 juin 1795, exprimait une vertueuse indignation qui n’était pas alors sans danger, mais qui aurait eu plus de retentissement à la tribune nationale[2]. Peu de temps après l’avoir écrite, Boissy d’Anglas ayant voulu prendre la parole : « Tais-toi, coquin, lui cria Chabot, nous savons ce que tu as écrit, tu devrais être déjà guillotiné. » Et un jour, tandis qu’il traversait les Tuileries, Legendre s’avança vers lui avec fureur : « Eh bien ! scélérat, dit-il, tu as osé dire que tu n’étais pas libre, et cependant te voilà ici. Non, répondit Boissy d’Anglas, je ne suis pas libre, car si je l’étais, je pourrais te répondre. » C’est ainsi que peut s’expliquer le silence de Boissy d’Anglas à la convention, pendant toute la durée de la terreur. Alors la parole libre d’un honnête homme n’avait pour réponse que l’échafaud. Boissy était membre du comité d’instruction publique ; il signa en cette qualité le ridicule rapport fait par Léonard Bourdon sur la fête de la 5e sans-culottide, jour où le corps de Marat devait être tranféré au Panthéon. Le 15 février 1794, il adressa à la convention, au nom du comité, Quelques Idées sur les arts, sur la nécessité de les encourager, sur les institutions qui peuvent en assurer le perfectionnement, et sur divers établissements nécessaires à l’enseignement public. La convention ordonna l’impression de cet écrit, ainsi que celle des Courtes Observations que Boissy présenta le 18 avril suivant, au nom du même comité, sur le projet de décret concernant le dernier degré d’instruction. Ce fut vers cette époque, qui semblerait d’abord assez mal choisie, que Boissy publia son Essai sur les fêtes nationales, suivi de Quelques Idées (déjà imprimées) sur les arts et sur la nécessité de les encourager, adressé à la convention nationale (an 2, in-8o de 192 p.). Boissy loue l’institution des fêtes décadaires, consacrées à la fraternité, à la bienfaisance, au malheur, à la naissance, au mariage, à l’agriculture, etc. ; il voudrait qu’aux funérailles, des chants lugubres, tels qu’en invente, dit-il, le génie de Gossec, conduisissent les citoyens au centre même de cette enceinte où l’ambition vient s’anéantir. « Je voudrais, ajoute-t-il, qu’un arrêt « solennel se fît entendre sur chaque tombe au moment où elle devrait se refermer pour jamais. J’appellerais la censure la plus rigoureuse envers toutes les mémoires, afin qu’une proscription morale fût aussitôt prononcée contre celle qui devrait être déshéritée de l’estime des gens de bien. » Il croit que le règne des rois va finir sur la terre. « Qu’importe la vie des rois ? qu’importent les tyrans et leur mémoire ? bientôt la terre en sera délivrée, et il ne restera plus d’eux que le souvenir de leurs crimes. » Il veut ce qu’il appelle la démocratie de la mort comme le complément nécessaire de la démocratie politique. Il parle avec

  1. Opinion de Boissy d’Anglas, relativement à Louis, prononcée le 17 janvier ; de l’Imprimerie nationale, in-8o de 5 p.
  2. Cette lettre fut réimprimée à Paris, en 46 pages, sans date, mais après la révolution du 9 thermidor. Cette réimpression eut pour but de justifier Boissy d’Anglas sur son silence à l’époque du 31 mai.