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de la discussion, il disait : « Le projet de décret de M. de Beauharnais, tel que je l’ai compris, se réduit en dernière analyse à ceci : Il est dangereux que le roi ait un pouvoir sans bornes, et par conséquent il faut lui ôter toute espèce de pouvoir. Est-il bien vrai que c’est là ce que vous pensez ? j’espère que non, et qu’il suffit de nous expliquer. Il y a peu de temps que j’ai l’honneur de vous connaître, mais j’ai cru voir en vous une vertu, des lumières, même une douceur de caractère qui me semblaient incompatibles avec de tels principes. La candeur est empreinte sur votre physionomie ; vous êtes l’ami de M. Montgolfier, dont je respecte encore plus la vertu que le génie ; oui, monsieur, il faut nous expliquer… » Malesherbes joignit à sa lettre un mémoire sur la question débattue. Boissy d’Anglas, dans une brochure qui parut alors, et qui a pour titre : À mes concitoyens, fit un magnifique éloge des travaux de l’assemblée constituante, en opposant au tableau de tous les abus qu’elle avait renversés la série de tous les droits qu’elle avait établis ; il s’attacha surtout à la justifier de tous les reproches qui lui étaient adressés, et montra l’heureux avenir qu’elle ouvrait pour la France. En même temps il parlait de Louis XVI comme du meilleur des rois, toujours occupé du bonheur du peuple, toujours entouré de la confiance et du respect de la nation. Boissy déplorait les scènes sanglantes qui avaient souillé quelques journées de la révolution, et il ajoutait : « Mais je dois le dire aussi, dussé-je passer pour barbare…, la moindre guerre entreprise pour flatter l’orgueil d’un ministre ou les caprices d’une maîtresse a fait couler bien plus de sang que n’en a coûté parmi nous la conquête de la liberté. » (On n’était alors qu’en 1790.) Il recommandait l’union, la confiance dans l’assemblée, dans le roi, dans les curés, classe de citoyens respectable, dans laquelle les Français trouveront, disait-il, des amis, des consolateurs, des arbitres. Il y a du rêve dans cette brochure, mais c’est le rêve d’un homme de bien. Peu de temps après, Boissy fit imprimer un assez gros volume, qui a pour titre : Observations sur l’ouvrage de M. de Calonne, intitulé de l’État de la France présent et à venir, et, à son occasion, sur les principaux actes de l’assemblée nationale, avec un postscrit sur les derniers écrits de MM.  Mounier et Lally, Paris, 1791, in-8o. C’est le même fonds d’idées que celui de la brochure À mes concitoyens, avec plus de développements et quelques attaques un peu vives, dans le postscrit, contre ses deux collègues déserteurs de l’assemblée constituante, et qui n’étaient point optimistes comme lui. D’ailleurs, l’auteur dit lui-même : « Cet ouvrage a été rédigé avec beaucoup de précipitation, et l’on s’en apercevra sans peine. » On s’en aperçoit en effet. Boissy d’Anglas fut élu en 1791 secrétaire de l’assemblée nationale. Il réclama contre l’insertion de son nom dans un pamphlet intitulé : Liste des députés qui ont voté pour l’Angleterre dans la question des colonies, et il déclara qu’il se faisait gloire d’avoir voté avec la minorité qui voulait conserver les droits des hommes de couleur. Il s’éleva dans le même temps contre les, dévastations qui affligeaient le comtat Venaissin, ainsi que le département de la Drôme ; et il appuya la demande des honneurs du Panthéon pour J.-J. Rousseau, déclarant que la crainte de priver Girardin des restes de son ami ne pouvait être un motif pour empêcher cet acte de reconnaissance nationale. Lorsque l’assemblée constituante eut mis fin à ses travaux, Boissy d’Anglas fut élu procureur-syndic du département de l’Ardèche. Cette magistrature était importante dans les temps devenus difficiles ; il y déploya une fermeté impartiale et courageuse : on le vit pendant plusieurs heures couvrir de son corps la porte de la prison d’Annonay, lorsqu’une force militaire, étrangère au pays, voulait la briser pour égorger les prêtres catholiques qui, la nuit suivante, furent rendus à la liberté[1]. Boissy avait déjà provoqué sur sa conduite la censure publique, qu’il disait être d’obligation pour les membres d’une nation libre. Une brochure intitulée Boissy-d’Anglas à Thomas Raynal, Paris, 1792, in-8o, fut regardée comme une assez faible réfutation de la fameuse Lettre à l’assemblée nationale, par le vieux philosophe, pénitent de ses longues erreurs. Mais Raynal n’avait fait qu’adopter et signer cette lettre remarquable, ouvrage de Malouet. Au mois de juin de la même année (1792), Boissy publia Quelques Idées sur la liberté, la révolution, le gouvernement républicain, et la constitution française, in-8o de 46 p., avec cette épigraphe : Nous voulons l’égalité, toute l’égalité, rien que l’égalité. C’est un recueil de pensées politiques, souvent empreintes des illusions de cette époque. Trois mois plus tard, Boissy d’Anglas fut élu député de l’Ardèche à la convention nationale. Il prit peu de part aux premiers travaux de cette assemblée, et fut envoyé deux fois en mission à Lyon, d’abord avec Vitet et Legendre, pour rétablir l’ordre que troublait la rareté des subsistances ; ensuite avec Vitet et Alquier, pour assurer les approvisionnements de l’armée des Alpes. Devenu membre du comité de la guerre, il fit un Rapport sur l’arrestation de Bidermann et Max-Berr, membres du directoire des achats, in-8o de 25 p. ; et, sur sa proposition, les deux administrateurs des vivres

  1. Dans l’hiver de 1791 à 1792, Boissy d’Anglas vint à Avignon, où son caractère conciliant ne put parvenir à rapprocher les esprits ni à calmer les passions exaspérées par l’état d’incertitude et d’anarchie où ce malheureux pays était plongé. Peu de mois après, le fameux décret d’amnistie rendu par l’assemblée législative en faveur des assassins de la Glacière, Jourdan, Duprat, Mainvielle, etc., ayant forcé plusieurs Avignonais de se dérober par la fuite à la vengeance des tigres déchaînés, quelques-uns se trouvaient dans une auberge à Nîmes : au sortir du souper, ils furent assaillis dans la salle à manger par dix ou douze coupe-jarrets qui s’étaient donné le nom de pouvoir exécutif, et qui, armés de sabres et d’énormes bâtons, étaient les séides des jacobins, les précurseurs des septembriseurs. Le père de l’auteur de cette note ayant voulu faire des représentations et opposer de la résistance, fut poursuivi autour de la table d’hôte par les scélérats, et il allait être massacré, lorsque Boissy d’Anglas, un des convives, s’interposa courageusement entre les assassins et leur victime, et sauva celui-ci, ainsi que sa famille et ses compatriotes, sous la condition qu’ils quitteraient Nîmes le lendemain matin. Mais dès la nuit même, pour les soustraire à de nouveaux dangers, Boissy les fit partir sous l’escorte de quelques gardes nationaux, ses amis. A-T