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dans l’espèce d’empressement de Boissy d’Anglas à ne pas se conformer à l’usage, quelque chose qui sentait l’approche de la révolution. Dans son premier ministère (1773), Malesberbes s’était laissé donner, par tous ceux qui lui écrivaient, même par Voltaire et par d’Alembert, la qualification de monseigneur ; mais, dans le court espace de douze ans, le sentiment des convenances s’était singulièrement affaibli, et les hautes classes l’avaient elles-mêmes oublié. On ne disait plus dans les salons que monsieur et madame : les titres n’étaient déclinés que par les laquais, au moment où ils annonçaient ; et ces titres avaient disparu dans la suscription des lettres que s’écrivaient les personnes du rang le plus élevé. Cependant, tandis que Boissy d’Anglas ne donnait point au ministre sa qualification, il avait soin de prendre lui-même tous les titres qui lui appartenaient, et il ajoutait à sa signature : des académies de Lyon, Nîmes, de la Rochelle, etc. Malesherbes s’empressa d’envoyer à Boissy une très bonne lettre de recommandation pour son ami, rapporteur de la cause, et l’arrêt du conseil fut rétracté. Dès lors des relations et une correspondance s’établirent entre Malesherbes et Boissy-d’Anglas. À cette époque, Et. Montgolfier sollicitait l’entrepôt de tabac d’Annonay. Boissy et Rabaud agirent pour qu’il l’obtînt. Ils demandèrent aussi quelque bénéfice pour l’abbé Montgolfier, second frère de l’inventeur des aérostats, et qui exerçait « avec distinction une charge de conseiller à la sénéchaussée d’Annonay, avec un revenu de moins de huit cents livres. » Ainsi, deux protestants sollicitaient alors auprès de Malesherbes, et auprès de l’évêque d’Autun (Marbœuf), un bénéfice pour un prêtre catholique. En septembre 1787, Et. Montgolfier avait annoncé, par une lettre confidentielle à Malesherbes, qu’il venait de faire de nouvelles et importantes découvertes pour la direction des aérostats. On ne sait pas que Boissy d’Anglas s’était associé aux travaux et aux expériences des deux frères, Étienne et Joseph Montgolfier. Le septembre, il écrivait à Malesherbes : « Vous sentirez, Monsieur, à quel point on peut, sans danger, annoncer d’avance les nouvelles expériences, et vous distinguerez, mieux que qui que ce soit, ce qui ne doit être su que de vous, Monsieur, et ce qui doit l’être de l’administration et des savants qu’elle consultera ; » et peu de jours après il adressa au ministre, qui le lui avait demandé, un long Mémoire (inédit) sur les avantages que le commerce peut retirer des aérostats[1]. On y voit jusqu’à quel point ils partageaient l’un et l’autre les illusions de Montgolfier : « J’espère, disait Boissy, démontrer l’utilité des aérostats (pour le transport des marchandises) ; — elle serait surtout importante pour voiturer des objets fragiles, — comme les glaces dont Paris possède l’unique manufacture, objets fragiles et craignant des voitures par terre. » Cette utilité se manifesterait encore, disait-il, pour le transport des papiers peints et pour tous les objets de luxe que la capitale fournit aux provinces. Suivent de singuliers détails sur l’étude des vents, et un itinéraire plus singulier encore pour les transports du commerce, à travers les airs, dans toutes les parties du monde. Ce mémoire est terminé par des réflexions fort tristes sur l’insuffisance des moyens pécuniaires des inventeurs pour continuer leurs expériences, ce qui était évidemment un moyen indirect de stimuler le gouvernement et de l’inviter à faire les frais de ces expériences. Mais le gouvernement n’accorda pas de nouveaux fonds[2]. Ainsi les premières pensées de Boissy furent un rêve patriotique, et ce n’est pas le dernier qu’il ait fait sur le bonheur de la France. Son premier écrit politique, qui parut au commencement de 1789, le seul qui ne porte pas son nom, a pour titre : Adresse au peuple languedocien, par un citoyen du Languedoc, in-8o. L’auteur dit lui-même, en rappelant cette production, dans son Adresse à mes concitoyens (1790) : « J’ai, l’un des premiers, réclamé, il y a dix-huit mois, contre cette constitution gothique sous laquelle vous gémissez. » — Élu député du tiers état de la sénéchaussée d’Annonay aux états généraux, il se montra dès le commencement un des plus chauds partisans de la cause populaire. Mais il marqua peu dans cette assemblée, où les grands talents qui brillaient à la tribune parurent d’abord l’intimider. Cependant il se prononça sur la nécessité, pour les députés des communes, de se constituer en assemblée nationale, et il discuta les motions faites à ce sujet par Rabaut et Chapelier. C’est injustement qu’on lui a reproché d’avoir fait l’apologie des tristes journées des 5 et 6 octobre 1789 ; il a repoussé cette accusation et déclaré qu’il les avait flétries de ce mot mémorable de Lhopital sur la St-Barthélemy : Excidat illa dies ! En 1790, il vota pour qu’il fût pris des mesures contre les conspirateurs rassemblés au camp de Jalès, où ils organisaient la guerre civile dans le Midi ; et il dénonça comme contre-révolutionnaire un mandement de l’archevêque de Vienne. Vers la fin de cette année, le vicomte de Beauharnais avait proposé de décréter que le roi ne pourrait jamais commander les armées en personne : « Je vis, dit Boissy d’Anglas, M. de Malesherbes le jour même de cette proposition. Nous la discutâmes longtemps verbalement, sans trop nous entendre ; je lui envoyai le lendemain quelques observations sur les principes qui avaient pu déterminer M. de Beauharnais, en les soumettant à son examen ; » et peu de jours après Malesherbes fit une très longue réponse, dont la plus grande partie était l’apologie de sa longue carrière, comme président de la cour, des aides et comme deux fois appelé dans le conseil du roi. Venant enfin à l’objet

  1. L’original autographe de ce mémoire et les lettres citées, qui sont également autographes, appartiennent à l’auteur de cet article.
  2. Le roi avait assigné, en 1786,60,000 livres pour les frais d’un aérostat ; mais Montgolfier ne reçut que 40,000 livres, et il fut inscrit pour cette dernière somme sur le Livre rouge, publié au mois de mars 1790. Boissy d’Anglas fit imprimer, le 10 avril, une note pour expliquer que les 40,000 livres n’étaient pas une gratification déguisée. Il trouve que le gouvernement a été ingrat envers Montgolfier, puisqu’il ne l’a point récompensé.