de sept ans il avait commencé à toucher le clavecin: deux ans lui avaient suffi pour se mettre en état d’improviser sur l’orgue. Il ne s’en tint pas là: il composa de petits morceaux, sonates, romances, et sans savoir encore bien les règles de l’harmonie, il écrivit la partition d’un opéra en un acte; le poète et le musicien étaient de Rouen: leur ouvrage obtint un plein succès sur le théâtre de leur ville natale. Boïeldieu ne tarda pas à reprendre la route de Paris, et cette fois de l’aveu de sa famille (1795).Il avait à peine vingt ans. Avec une figure charmante, des manières exquises, il possédait un beau talent de pianiste, une voix agréable: il semblait donc avoir tout ce qu’il fallait pour réussir, et pourtant il ne réussit pas d’abord. La musique avait subi la même influence que les autres arts ; c’était l’époque de l’énergie et non celle de la grâce : on voulait avant tout des sensations vigoureuses et profondes. Méhul, Chérubini, Lesueur avaient donné des ouvrages du style le plus sévère, tels qu’Euphrosine et Coradin, Lodoiska, la Caverne. L’heure de Boïeldieu n’était pas venue: son petit opéra, soumis au jugement de maîtres, fut trouvé d’une extrême faiblesse. Pendant quelque temps, il vécut au hasard, enseignant le piano, ne dédaignant pas même le métier d’accordeur, composant, chantant de délicieuses romances, dont plusieurs, et entre autres, Vivre loin de ses amours, jouirent d’une vogue populaire. Garat, le chanteur à la mode, le prit sous sa protection, et la réputation de Boîeldieu commença dans les salons. Enfin le talent du jeune compositeur inspira assez de confiance pour qu’on jouât au théâtre Feydeau son opéra de la Famille suisse (le même qui avait été joué à Rouen), et celui de Monbreuil et Merville, en 1797 : l’un et l’autre étaient en un acte. Zoraïme et Zulnare [1], opéra en 3 actes, composé auparavant, ne put être représenté que l’année suivante (1798), ainsi que la Dot de Suzette. En 1799, les Méprises espagnoles et le Calife de Bagdad parurent au théâtre Favart. Tels furent les débuts de Boïeldieu : il ne se laissa pas éblouir par leur éclat. Il avait été nommé professeur de piano au conservatoire; et c’est, dit-on, dans sa classe, entouré de ses élèves, que, sur un coin du piano, il écrivit les mélodies si originales et si franches du Calife. Après l’immense succès de cet ouvrage, que trente années n’ont pu vieillir, Boïeldieu pouvait croire que le génie tenait lieu de science : au contraire il avait senti l’insuffisance de son éducation musicale, et prié Chérubini de lui donner des leçons. Les conseils du savant professeur fructifièrent. Après la réunion des deux troupes d’opéra-comique dans la salle Feydeau, Boïeldieu
(1)«Le dernier acte de Zoraïme et Zulnore, dialogue avec une luesse et une intelligence parfaite, annonça à la capitale un compositeur propre à honorer l’école française. Ce premier opéra, resté a la scène, fut bientôt suivi de Benouslti, où le serment des conjurés dans la caverne parut d’un effet vraiment si surprenant, que le célèbre Grétry, qui honoraitnn jour de sa présence une des re}l’Él¢lll2liol’18 de t’C 0IVl’3¢8, BC [till S’t !lIl|)èCll8l’ (IE tiil’0 ([08 60 lIlol’ecsu était ofinspiratton divise. n (Extrait d’•me notice manuscrite par I. Boleldleu, avion avocat, oncle du compositeur. et oujo•trd’Iu¢t (octobre tte !) ego de quatre-vingt-kept ons.) D—s-s.
B0 ! donnalla Tante Aurore (1802) ; et l’on remarqua dans ce nouvel ouvrage des progrès décidés, une instrumentation élégante et soignée, des dessins bien suivis, des morceaux d’ensemble combinés avec art et remplis d’efTets ingénieux. Le fameux quatuor ( restera un des morceaux classiques de l’école fran- n çaise. D’abord la pièce était en 5 actes, et le premier A jour on la sillla : c’était presque une chute ; mais Boîeldieu, qui avait apprécié son œuvre, n’en des- n espéra pas : deux jours après, diminué d’un acte, A l’opéra de Ma Tante Aurore se releva complètement. ( Boîeldieu avait épousé, en 1802, mademoiselle Clotilde, célèbre danseuse de l’opéra : ce mariage ne fut pas longtemps heureux. Dès l’année suivante, voulant se délivrer des chagrins domestiques qui, l’obsédaient, Boîeldieu prit tout à coup la résolution de quitter la France et de partir pour la Russie, où il allait retrouver une famille qu’il aimait comme la sienne. Arrivé aux frontières de l’empire russe, il reçut un message d’Alexandre, qui lui couféraît le titre de son maître de chapelle. Une réception brillante l’attendait à St-Pétersbourg : on exécuta à l’Ermitage le Catife de Bagdad, devant la famille im- ( périale et toute la cour, dans une salle étincelante de lumières et de parures. Un traité fut conclu entre le directeur du théâtre impérial et Boîeldieu : le compositeur promit d’écrire trois opéras nouveaux ( chaque année, moyennant que l’empereur lui fournirait les poëmes. Cette dernière clause n’était pas la plus facile à exécuter ; aussi l’empereur y man- v qua-t-il, et Boîeldieu se vit-il obligé de prendre dans son portefeuille des poëmes déjà mis en musique ou qui n’étaient pas destinés à en recevoir. C’est ainsi ( qu’il écrivit une partition d’.1line, reinede Golconde, v après celle de M. Berton ; de Télémaque, après celle de Lesueur ; des Voitures versées, sur un vaudeville “ de Dupaty ; de la Jeune Femme colère, sur une comédie de M. Étienne ; des Deux Paravent :, d’Amour et Mystère sur des vaudevilles de Pain et Bouilly. Il composa encore des chœurs pour l’Athalie de Racine, ’et un grand nombre de marches et de morceaux militaires pour la garde impériale russe. Un seul poème fut écrit pour lui à St-Pétersbourg, par un Français attaché comme chanteur au théâtre impérial ; mais la chute d’Abderkan punit le poëte de sa présomption. Tétémaque était un des ouvrages que Boîeldieu affectionnait le plus. Il l’avait composé en six semaines pour les relevailles de l’impératrice ; et, a mesure qu’il écrivait, les acteurs A apprenaient, on répétait au théâtre, de sorte que l’ouvrage fut aussitôt représenté que fini. Leschœurs ( d’Athatie renfermaient aussi de grandes beautés, et produisaient tant d’effet qu’une célèbre tragédienne n française, qui se trouvait alors en Russie, cm de ) jouer le rôle principal, parce que la musique enle-1 vait une trop large part d’applaudissements. Quelque brillante que fût son existence à St-Pétersbourg, Boîeldieu sentit le besoin de revoir sa patrie : l’air et le ciel de la France étaient nécessaires à sa santé affaiblie. N’osant rompre entièrement sa chaîne, il sollicita un congé (1811), que les circonstances, d’ac-· cord avec sa volonté, devaient rendre définitif.
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