Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 4.djvu/265

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bliant le respect dû à une assemblée dans laquelle se trouvaient le roi, la reine mère et tous les princes du sang, il employa, sur la présence réelle, des expressions inconvenantes qui soulevèrent contre lui tous les catholiques, et contribuèrent à envenimer la dispute et à rendre inutiles toutes les intentions de paix. Il ne retourna point alors à Genève, et fut retenu en France par le roi de Navarre et le prince de Condé. L’édit de janvier 1562 ayant permis aux réformés l’exercice de leur culte, Bèze prêcha souvent à Paris, et se distingua, dans toutes les occasions, par un grand zèle et beaucoup d’attachement à son parti. La guerre civile recommença, et Bèze se trouva à la bataille de Dreux, ou les protestants furent vaincus, et le prince de Condé fait prisonnier. Il ne cessa ensuite de prendre une grande part aux affaires des protestants jusqu’à la paix de 1565. Ce fut alors seulement qu’il retourna prendre sa place dans l’académie de Genève. Calvin étant mort en 1564, Théodore de Bèze succéda à tous les emplois de son ami et de son maître, et fut dès lors regardé comme le chef des réformés, en France comme à Genève. Des affaires de famille l’appelèrent à Vézelay en 1568. De retour à Genève, peu de mois après, il ne revint en France qu’en 1570, pour le synode de la Rochelle. Sur la demande de la reine de Navarre et de l’amiral de Coligni, le conseil de Genève permit à Bèze de s’y rendre. L’honneur de présider cette assemblée générale de toutes les Églises réformées de France lui fut unanimement déféré. Bèze fut encore plusieurs fois obligé d’abandonner pour quelques moments les fonctions qu’il remplissait dans l’académie de Genève. Il fut employé à une négociation importante en Allemagne, dans l’année 1574, et assista, à différentes époques, a des conférences tenues en Suisse ou en Allemagne, pour l’éclaircissement de quelques points de doctrine[1]. Il perdit sa femme en 1588, et, quoique âgé de soixante-dix ans, se remaria peu de mois après avec une jeune personne qu’il appelait sa Sunamite. On a même dit, sans fondement, qu’il s’était marié trois fois. Il avait conservé jusqu’au delà de quatre-vingts ans une grande activité d’esprit et une santé robuste, et ne discontinua ses leçons qu’en 1600. Il vécut encore cinq années, affaibli par l’âge et les infirmités, mais toujours plein de zèle et de dévouement pour son parti, et le servant encore par ses conseils. Il mourut le 15 octobre 1605. Théodore de Bèze est un des hommes dont la réputation a été le plus souvent et le plus vivement attaquée, et il n’était guère possible que cela ne fût pas ainsi. À peine eut-il embrassé la religion réformée, qu’il se mêla à toutes les controverses et à toutes les disputes. Il écrivit sans cesse contre les catholiques, contre les luthériens, contre tous ceux enfin dont l’opinion s'éloignait en quelque chose de la doctrine, ou même de l'intérêt de son maître Calvin. Un écrivain polémique doit nécessairement, dans tous les temps, être exposé à recevoir et à rendre beaucoup d'injures ; mais dans le siècle de Bèze les injures étaient plus outrageantes, le ton des disputes plus grossier, les haines plus ardentes, surtout dans les querelles religieuses. Bèze, dont les premiers écrits offraient tant de prise aux plus justes reproches, fut sans cesse harcelé par les accusations de ses adversaires. Au tort d'avoir embrassé un genre d'écrire dont le souvenir de ses premières années et la publication de ses Juvenilia auraient dû le tenir éloigné, il joignit celui de mêler trop souvent à ses écrits polémiques une plaisanterie grossière et bouffonne. Ce reproche lui a été fait, même par les écrivains de la religion réformée. Il n'est donc pas étonnant qu'il ait été extrêmement maltraité par ceux qu'il irritait par ses railleries, et auxquels il avait fourni des armes contre lui. 11 serait absolument sans intérêt d'examiner jusqu'à quel point il a été calomnié, et ce qu'il faut retrancher des reproches faits à ses mœurs, et des interprétations infâmes données à quelques-unes de ses poésies ; mais une accusation plus grave s'est élevée contre lui. Poltrot, qui assassina le duc de Guise devant Orléans, déclara, dans ses premiers interrogatoires, qu'il avait été poussé à ce crime par Théodore de Bèze. Cette imputation paraît sans aucune vraisemblance; Poltrot rétracta bientôt sa déclaration, et persista jusqu'à la mort à décharger Théodore de Bèze. Aussi, son premier témoignage, constamment démenti par lui-même, n'a-t-il trouvé que peu de personnes disposées à le croire. Bossuet, quoique très-sévère dans le jugement qu'il porte de Bèze, et quoique porté, sur la seule déposition de Poltrot, à imputer à l'amiral de Coligni une assez grande part dans le meurtre du duc de Guise, n'accuse Bèze d'aucune complicité directe. Il lui reproche seulement, à cette occasion, ses prêches séditieux, la joie qu'il fit éclater, ainsi que tout son parti, à la mort du duc de Guise, et le soin qu'il prit pour donner à un assassinat la couleur d'une action inspirée. On a aussi reproché à Bèze d'avoir excité, dans plusieurs occasions, les protestants de France à prendre les armes, et d'avoir été la trompette de nos guerres civiles. Sans doute, dans ses relations avec les chefs des réformés, pendant les guerres qui remplirent les commencements du règne de Charles IX, il montra peu de modération et d'envie de concilier les esprits ; sans doute il perdit trop souvent de vue ce qu'il avait dit lui-même dans sa protestation au roi de Navarre, « que c'est à l'Eglise de Dieu à endurer les coups, et non à en donner, et que c'est une enclume sur laquelle beaucoup de marteaux doivent s'user. » Cette belle sentence n'était, dans la bouche du disciple de Calvin, qu'une vaine figure de rhétorique. À peine son parti se touva-t-il plus fort par la faiblesse du gouvernement et par le mécontentement des plus grands personnages de l'Etat, que Bèze devint, par ses sermons, l'instigateur le plus adent de la guerre. Il avoue lui-même, dans son

  1. Marsollier, Vie de François de Sales (Paris, 1700, in·«t°), nous apprend que ce saint évêque eut plusieurs conférences avec Bèze qui lui avoua qu’on pouvait faire son salut dans l’Église romaine. Il lui montra un bref du pape, par lequel sa sainteté lui offrait une rœ traite honorable, 4 000 écus d’or de pension, et une très-forte somme pour ses meubles et ses livres. Tant la cour de Rome attachait d’importance à sa conversion !