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Les papiers de Kœnigsmark furent saisis, et on y trouva des lettres de Sophie-Dorothée, lettres qui détruisaient tout soupçon relatif à des intrigues coupables, mais qui renfermaient des plaintes fort vives, parfois des railleries mordantes à l’égard de divers personnages contre lesquels la malheureuse princesse avait des griefs bien fondés. Son mari, son père, l’électeur, la comtesse étaient tous maltraités dans ces épanchements intimes qu’avait dictés une colère excusable, mais qui, portés à la connaissance des parties intéressées, fui enlevèrent tous les protecteurs qu’elle aurait dû rencontrer. Elle acheva de fournir des armes contre elle en manifestant les plus vifs regrets pour la mort tragique de Kœnigsmark, en accusant hautement la comtesse d’avoir organisé un assassinat. Un consistoire fut assemblé pour prononcer le divorce ; George avait hâte d’être débarrassé de sa femme ; on n’osa pas trop insister sur des liaisons coupables avec Kœnigsmark, tant les preuves faisaient défaut à cet égard ; mais, à cette époque, un souverain trouvait toujours des juges prêts à rendre des services, et le consistoire, sans s’arrêter à motiver son arrêt, déclara le mariage nul (septembre 1694). Conduite au château d’Ahlden, vieille forteresse bâtie dans un coin écarté du territoire brunswickois, l’infortunée Sophie-Dorothée y vécut trente-deux ans prisonnière d’État, reléguée loin de toute société, et ne revit ni son père ni ses enfants. Elle mourut le 13 novembre 1726, douze ans après que son mari eut été appelé au trône d’Angleterre. Le journal qu’elle écrivit dans sa captivité offre, dans un style lourd et pesant, une foule de détails minutieux et d’une insignifiance fatigante ; mais rapproché des Mémoires de mademoiselle de Knesebeck, qui ont été de leur côté livrés à l’impression, ils éclairent toute cette partie intime et tragique de l’histoire de la cour de Hanovre, mal exposée jusqu’ici par Horace Walpole, par Coxe, par lord Mahon et autres historiens. M. Philarète Chasles a consacré au journal en question une notice (Revue des Deux-Mondes, août 1845) ; nous en avons profité pour la rédaction de cet article. Observons aussi que Sophie-Dorothée avait écrit en français et que ses récits avaient été traduits en allemand par Frédéric Mueller (Hambourg, 1840, in-8o) avant de paraître à Londres en anglais ; sous cette dernière forme, ils ont subi quelques arrangements qui en rendent la lecture plus attrayante, mais qui en diminuent la valeur historique. l’ouvrage de Poellnitz : Histoire secrète de la princesse d’Alten, duchesse de Hanovre, Londres, 1732 (plusieurs fois réimprimée), ne mérite pas qu’on s’y arrête. La Correspondance (Briefwechsel) de Kœnigsmark et de Sophie-Dorothée, publiée par W.-F. Palmblad, Leipsick, 1847, in-8o, d’après un manuscrit appartenant à la famille suédoise des Loewenhaupt, alliés des Kœnigsmark, mériterait d’être examinée avec soin.

B-n-t.


SOPHIE-DOROTHÉE, reine de Prusse, épouse du roi Frédéric-Guillaume Ier, née en 1687, était fille de George Ier, roi de la Grande-Bretagne, électeur d’Hanovre. Son esprit et sa rare beauté la firent regarder comme la princesse la plus accomplie de son temps ; mais il est impossible de croire qu’elle fut la plus heureuse, d’après la connaissance que l’on a du caractère de son époux. On voit, dans l’article de Frédéric II son fils, et dans tous les mémoires du temps, combien elle fut bonne mère. Elle se tint toujours prudemment éloignée des affaires publiques. Veuve en 1740, elle mourut, le 28 juin 1757, au château de Monbijou, sa résidence d’été.

L-p-e.


SOPHOCLE, le plus grand poëte tragique de la Grèce, naquit environ cinq siècles avant J.-C. ; mais l’année précise de sa naissance est sujette à quelques difficultés. L’indication qui se concilie le mieux avec les circonstances de sa vie est celle du scoliaste grec qui le fait naître dans la deuxième année de la 71e olympiade, 495 avant J.-C. L’allégation de Suidas, d’après laquelle il serait né dans la troisième année de la 73e olympiade, s’accorde mal avec les époques les mieux connues de ses productions. Mais on peut, sans tomber dans cet inconvénient, le faire plus âgé de deux ou trois ans[1], en fixant, avec les marbres de Paros, sa naissance à la troisième année de la 70e olympiade. Ce qui est plus intéressant, c’est de voir la fortune d’Athènes réunir dans le même siècle les trois grands tragiques de l’antiquité : celui dont l’audacieux génie créa la tragédie nationale et religieuse des Grecs ; celui dont le génie, mieux réglé par le goût, fixa les règles du genre et en porta le style à la perfection ; enfin l’homme d’esprit qui, pour séduire la multitude, amollit et corrompit le caractère de cette poésie essentiellement austère et élevée. Sophocle paraît avoir été plus jeune qu’Eschyle de vingt-sept ou (selon les marbres de Paros) de trente et un ans, et plus âgé qu’Euripide de seize ou dix-sept ans. Le jour de la bataille de Salamine, l’audacieux Eschyle combattit dans les rangs des vainqueurs ; Sophocle fut choisi, à cause de sa beauté, pour être le coryphée des adolescents qui dansèrent autour des trophées ; et Euripide, destiné à devenir son émule, naquit pendant le combat, dans l’île même de Salamine. Le père de Sophocle se nommait Sophile ou Diphile, ou Théophile ; c’est probablement le même nom, écrit d’après des prononciations différentes. Deux anciens littérateurs, cités par le scoliaste, font de ce Sophile un armurier ou même un forgeron ; mais le scoliaste révoque en doute cette assertion. Et comment pourrait-on supposer que les poëtes comiques, auxquels l’extraction d’Euripide, fils d’une fruitière, a fourni de si grossières plaisanteries, auraient épargné Sophocle, s’il fût né d’un for-

  1. Larcher, Chronologie d’Hérodote, p. 594 ; Coraini, Fasti Allici, t. 3, p. 140 ; Lessing, Leben des Sophokles, p. 301.