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et l’on appelait encore du temps d’Auguste, ces terres les Prés quintiens. Un historien romain, Florus, a mis l’action de Mucius Scaevola, ainsi que celles de Clélie et d’Horatius Coclès, au nombre de ces faits qui, dit-il, passeraient pour des fables s’ils n’étaient pas consignés dans nos annales (1)[1]. Or, on sait combien peu étaient authentiques les annales romaines, refaites la plupart après coup depuis l’incendie de la ville par les Gaulois. Il existe une dissertation de Nicolas Catherinot (voy. ce nom), intitulée la Main de Scaevola (2)[2], qui révoque en doute l’action et même l’existence de ce Romain, par seize raisons, qu’il développe dans un style plat et souvent burlesque ; mais plusieurs de ses arguments n’en sont pas moins péremptoires. L’anecdote de ce Romain a fourni à Martial le sujet de trois épigrammes ; à du Ryer, l’un de nos poètes les plus médiocres, le sujet d’une tragédie qui n’est pas sans mérite (voy. aussi LUCE DE LANCIVAL) ; à Rubens, celui d’une composition pleine de feu et d’énergie, etc. Pendant notre révolution, le nom de Mucius Scaevola était fort en honneur et devint celui d’une des sections de Paris. Ce qui confirme encore les doutes qu’on peut élever sur l’existence de Mucius Scaevola, c’est qu’on le fait patricien, tandis que la famille de ce nom qui s’illustra trois siècles après était plébéienne. Comment une maison patricienne dont un des auteurs aurait jeté un aussi grand éclat que le prétendu Mucius Scaevola aurait-elle pu tomber dans un oubli aussi complet ? La maison plébeienne de Mucius Scaevola a produit plus d’un personnage remarquable :

— 1e SCAEVOLA Q.-Mucius, qui vivait dans le 8e siècle après la fondation de Rome, fut le premier de sa famille qui mérita la réputation de grand jurisconsulte. Les historiens nous le montrent l’an 319 avant J.-C., 535 de Rome à la tête d’une ambassade envoyée à Carthage. Il fut désigné deux ans après comme préteur en Sardaigne.

— 2e SCAEVOLA Publius-Mucius, petit-fils du précédent, augmenta encore beaucoup le fond d’expérience dans les lois qui resta le patrimoine de cette famille. Il fut consul en 621 (133 avant J.-C.) Sans être tout à fait partisan des lois que proposa le tribun Tibérius Gracchus, sous son consulat, il se montra opposé aux violences que les patriciens voulaient exercer contre ce tribun. Au milieu de la sédition dans laquelle périt Tibérius, le consul Scaevola était à son poste, à la tête du sénat. On peut voir à l’article ci-après, SCIPION NASICA, quelle modération courageuse montra Mucius Scaevola dans cette circonstance : mais alors l’étude de la jurisprudence supposait des vertus et une fermeté vraiment stoïques. Aussi presque tous les jurisconsultes romaine étaient-ils de la secte de Zénon.

— 4e SCAEVOLA (Q.-Mucius), cousin du précédent, augure et consul en 637, s’attacha

(1) Epitom. Hist. Rom. Lib. 2.

(2) In-4o e 14 pages, Bourges, 3 juillet 1682.


SCA

le jeune Cicéron, qui fut dans la société de ce savant jurisconsulte les premières années de son adolescence. Il triompha des Dalmates avec Caecilius Metellus et se signala dans la guerre contre les Marses. Il était beau-père du jeune Marius ; et, seul de tous les sénateurs, il sut résister à Sylla, quand ce dictateur voulut déclarer ennemis publics les deux Marius et leur, partisans dans le sénat. « Ni ces soldats, lui dit Scaevola, dont tous avez environné le sénat, ni les menaces ne m’effrayent. Ne penser pas que pour conserver quelques faibles restes d’une vie languissante et d’un sang glacé dans mes veines, je puisse me résoudre à déclarer ennemi de Rome Marius, par qui je me souviens que Rome et toute l’Italie ont été sauvées. » Etant préteur en Asie, il s’était fait remarquer par son désintéressement. Un fragment de Lucile rappelle une raillerie piquante qu’il fit à un certain Albicius qui poussait la manie du grec jusqu’à renoncer à sa langue maternelle. Scaevola l’augure fut gendre de Lelius ; et c’est lui que Cicéron a choisi pour un des interlocuteurs du dialogue De amicitia du premier livre de De oratore, et de son Traité le la république.

― 5e SCAEVOLA (Q.-Mucius), fils de Publius, devint, après la mort de Quintus l’augure, le maître de Cicéron. Il panint au entitulat l’an 659 de Rome, 96 avant J.-C., en même terme que Crassus l’orateur, son ami, avec lequel il avait tant de rapports pour le génie, le talent et le caractère, et aussi décoré de la dignité dr grand pontife. Etant préteur en Asie, il y déploya tant de prudence et d’équité que, par la suite, ont le proposait pour exemple aux gouverneurs qu’on envoyait dans les provinces. À son arrivée, il n’exigea pas des peuples les sommes que la coutume l’autorisait à lever pour sa dépense et celle de ses officiers. « Il trouva, dit Renies, une ressource meilleure, celle de la simplicité. Ce qui lui fit encore plus d’honneur, ce furent ses rigueurs équitables envers les chevaliers romains qui, chargés de la perception des deniers. exerçaient envers les peuples les plus criantes vexations. Par cette conduite, il regagna au peuple romain l’affection des habitants de l’Asie. qui dans leur reconnaissance, instituèrent en son. honneur une féte religieuse appelée la fête mucienne. Cicéron, qui parle de cet illustre personnage dans maint endroit de ses œuvre, l’appelle le plus grand orateur parmi les jurisconsultes. et le plus grand jurisconsulte parmi les orateurs. En effet, entre les hommes éloquents qui se piquent d’être sobres et réservés par rapport aux ornements du style, Scaevola était encore celui dont la diction était la plus élégante. Dans le commerce privé, il tempérait la sévérité qui lui était naturelle par des manières douces et polies. Il est l’inventeur de la caution mucienne et publia divers ouvrages. L’un, intitulé Définitions, est le plus ancien livre dont on trouve des

  1. (1) Epitom. Hist. Rom. Lib. 2.
  2. (2) In-4o e 14 pages, Bourges, 3 juillet 1682.