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des examens un peu sévères. Heureusement il y en avait une autre tout près de là, celle d’Harderrriek, laquelle ne faisait pas grande figure entre Leyde et Franeker, mais où l’on était plus coulant. C’est là que Sayer se vit décoré du titre auquel il aspirait. Nous disons le titre, car chemin faisant, et même avant d’avoir quitté l’école, il avait reconnu que sa vocation pour la chirurgie avait été une illusion comme toutes les autres ; il était venu à bout de surmonter son dégoût pour la dissection ; mais les opérations chirurgicales agissaient trop violemment sur sa sensibilité pour qu’il pût s’y décider. Evidemment Sayer aurait été fort à plaindre s’il eût été dans la nécessité de subvenir à ses besoins par ses gains. Mais dès ce moment le peu qu’il avait suffisait pour le mettre à l’abri d’une obligation trop pesante pour lui ; et à mesure qu’il avança dans la vie, divers héritages, toujours modiques il est vrai, vinrent ajouter à son bien-être. Il put donc se laisser aller à ses goûts de rêverie et de poésie. Il avait étudié la littérature ou plutôt les littératures, et principalement certaines d’entre elles avec amour : la primitive tragédie grecque avec ses chœurs, le lyrisme de Klopstock, la mythologie et les sagas de l’Islande, les vieilles ballades de la Grande-Bretagne avaient frappé son imagination et allumé en lui un vif enthousiasme. Il avait même quelque temps cru en Ossian, mais les observations qu’il fit pendant une de ses traversées en Écosse le guérirent de cette idée, et de la part d’un jeune homme peu expérimenté encore cette promptitude à sortir de l’erreur prouve du tact. Libre désormais de préoccupations, Sayer se sentit le besoin de fondre en une œuvre d’art toutes les idées, toutes les impressions que ses lectures favorites avaient éveillées en lui. De là les Esquisses dramatiques qu’il publia en 1790 et qui furent reçues avec applaudissement, sinon par la foule, du moins par les connaisseurs, par les lecteurs d’élite. En Allemagne surtout son ouvrage plut singulièrement, et dès ce moment le poète fut classé parmi les notabilités de l’époque. Fut-ce un bien pour sa réputation ? On ne saurait le dire. Sayer depuis ce temps ne déploya pas une grande activité, d’où l’on a conclu que si le succès ne l’avait pas comme endormi, le désir de la gloire l’eût aiguillonné davantage. À nos yeux, rien n’est moins clair. Sayer sans doute étaitune nature poétique, mais c’était une nature paresseuse, c’était surtout une nature exclusive et monotone. Dominé, pris tout entier par certaines impressions, il était comme inaccessible à toutes les autres, quoique hautement poétiques ou pittoresques. Ainsi forcloses, ces impressions nouvelles n’auraient donc pu trouver en lui un interprète passionné, original ; aussi ne sommes-nous pas étonné que le reste de sa vie se soit passé surtout à corriger, à limer son premier ouvrage, et que peu à peu, après avoir semblé

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prédestiné à prendre un haut rang dans la pléiade contemporaine, il soit presque tombé dans l’oubli. Son existence provinciale contribuait d’ailleurs à cette nonchalance de son esprit et à cette éclipse de son nom. Les quarante dernières années de la vie de Sayer se passèrent sans événements mémorables autres que sa conversion à l’anglicanisme et son entrée dans les ordres. Toutefois il ne voulut point de bénéfices. Les recherches d’antiquité, d’architecture, d’histoire et quelques pièces fugitives, qu’il envoyait de temps en temps à la Revue d’Edimbourg, étaient ses plus graves occupations. Il mourut le 16 août 1816. Ses amis perdirent en lui un joyeux et aimable compagnon, et un des hommes dont la conversation avait le plus de charme. Il n’avait pas la fougue pétillante, l’intarissable verve de Coleridge ; mais il intéressait, il instruisait, il amusait, et l’on sortait d’à côté de lui la tête moins fatiguée, les idées plus en ordre que lorsqu’on avait vu se déployer le chaos fantasmagorique du célébre causeur de Londres. Les Œuvres complètes de Sayer ont été publiées par son ami Taylor avec sa vie fort détaillée (Norwich, 1823, 2 vol., in-8. Elles se composent : 1o  des Esquisses dramatiques déjà citées, et qui parurent en 1790), in-4o ; 2e édit., 1792. 2 vol. in-8o ; 3e édit., 1803 ; 2o  de Poésies diverses, qu’il avait publiées sous le titre de Nugae poeticae,1803 ; 3o  des Recherches métaphysiques et littéraires (son deuxième ouvrage, 1793) ; enfin de Mélanges d’antiquité et d’histoire (qui vinrent après les Recherches et avant les Nugae, 1805. Ses Esquisses sont au nombre de quatre, parmi lesquelles Moina et Starno sont les principales. Les sujets en sont plus que simples, et comparativement aux canevas de Sayer, ceux d’Eschyle sont des imbroglios très-compliqués. À vrai dire, il ne faut y voir, en dépit du titre donné par l’auteur, que des dialogues ou monologues lyriques. Le style en est remarquable par la vigueur, par les images, par la noblesse ; on y reconnaît facilement l’admirateur de Dryden. Mais les caractères sont peu développés, les péripéties généralement sont nulles. Toutefois il faut en excepter, dans Moina, le moment où l’héroïne, qu’on croit désormais libre par la mort d’Harold et sûre par conséquent de devenir, grâce à son veuvage, l’épouse de Carill, son ancien fiancé, entend le chœur lui révéler que la loi des Scandinaves est que la veuve soit ensevelie este son mari. Les vers de Sayer (dans Moina et dans Starno), mêmes ceux où domine le lyrisme, et qui ont moins dcs dix syllabes habituelles pour le vers épique et le vers tragique, sont sans rime. L’harmonie, il faut l’avouer, en dépit de tout ce qu’on peut alléguer à l’appui de ce système, n’en est pas suffisamment riche et saisissante. Toutefois, il ne faudrait pas, en écartant de l’avis des admirateurs de notre poète, passer à l’extrême contraire et nier qu’il n’y ait du rhythme dans sa versification