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corps d’après la théorie particulière qui il s’était déjà formée. En même temps, il étudiait les mathématiques et l’attaque des places. Il rechercha la conversation du chevalier Folard. C’est à cette époque que ce tacticien célèbre fit paraître son Commentaire sur Polybe (voy. FOLARD). On relit aujourd’hui avec curiosité ce qu’il y dit du jeune Maurice : « Il faut exercer les troupes à tirer selon la méthode que le comte de Saxe a introduite dans son régiment, méthode dont je fais un très-grand cas, ainsi que de son inventeur, qui est un des plus beaux génies pour la guerre que j’aie connus : ou verra à la première guerre que je ne me trompe point dans ce que j’en pense. » Il faut observer que ceci fut écrit en 1731, c’est-à-dire vingt ans avant que le comte de Saxe eût atteint le sommet des dignités et de la gloire militaires. Maurice semblait avoir renoncé pour toujours à son pays natal, lorsqu’on le vit prendre la route du Nord, sous prétexte d’y faire valoir ses prétentions à des biens qui lui venaient de sa mère. On ne tarda point à apprendre le motif réel de ce voyage. La protection du roi Auguste lui avait fait concevoir l’espérance d’être élu duc de Courlande. Il vit à Mitau la duchesse douairière Anne Iwanowna, fille du czar Pierre le Grand. Cette princesse laissa paraître un penchant fort décidé pour le jeune comte ; elle lui promit de l’épouser s’il parvenait à se faire nommer duc, et elle mit tout en œuvre pour obtenir son élection, qui eut lieu malgré tous les obstacles. Mais il avait des concurrents, et la czarine Catherine Ire se déclara contre lui. Elle donna l’ordre au prince Meutzikoff de l’attaquer dans Mitau. Le comte de Saxe résolut de s’y défendre : ce fut alors que la célèbre actrice Lecouvreur, qui l’aimait, fit le sacrifice de ses pierreries et de ses bijoux pour lui envoyer une somme de quarante mille francs. Le prince Mentzikolf tenta de le faire enlever par surprise : le héros saxon se défendit encore dans son palais, à la Charles XII, comme il le manda à Paris ; et les Russes se retirèrent. Mais ses ennemis lui suscitèrent bientôt d’autres difficultés : la diète de Pologne le somma de comparaître, en vertu de ses droits de suzeraineté. Il s’y refusa fièrement : la diète signa sa proscription. Le nouveau due ne s’en émeut pas : il ordonne à ses sujets de le secourir de leurs personnes et de leurs biens. Le roi son père lui signifie qu’il faut renoncer au duché de Courlande : il répond respectueusement qu’il n’y renoncera pas. Une phrase de cette réponse ne doit pas être omise dans un ouvrage français : « J’occupe un emploi distingué dans les armées du roi très-chrétien, où la lâcheté et la trahison ne souffrent ni interprétation ni déguisement. » Ne trouvant point sur la terre ferme une position où il pût soutenir une attaque régulière, il passe dans la petite île d’Uxmaïs, près Guldingen, et il y amasse des munitions et des vivres. Mais abandonné successivement par

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tous les siens, et le nombre des Russes grossissant chaque jour, il crut devoir songer à mettre sa personne en sûreté. Il ne rapporta de cette expédition aventureuse que son diplôme d’élection, qu’il conserva toute sa vie, et qu’il ne voulut jamais rendre, quelque séduisantes que fussent les offres qui lui furent faites à ce sujet. Mais à peine de retour en France, la duchesse douairière de Courlande le pressa de revenir près d’elle. Il céda à son invitation (1728), et il feignit quelque temps de répondre à sa tendresse. Une aventure d’un genre comique vint tout à coup détruire les illusions de la princesse. Son infidèle amant avait distingué parmi ses filles d’honneur une jeune personne d’une beauté rare et d’un cœur fort tendre. Il allait la prendre tous les soirs à sa fenêtre, et la faisait rentrer chez elle avant le jour par le même chemin. Une nuit, où il avait tombé beaucoup de neige, il la portait sur ses épaules : il rencontre une vieille femme qui tenait une lanterne ; cette femme s’effraye et crie. Le comte de Saxe veut éteindre la lanterne d’un coup de pied, l’autre pied lui manque ; il tombe avec sa charge par-dessus la vieille, qui redouble ses cris. Le factionnaire accourt, la garde survient, tous les acteurs de cette étrange scène sont reconnus. La duchesse ne veut plus entendre prononcer le nom du perfide Maurice. La suite des événements fit voir ce qu’il avait perdu en perdant le cœur de la duchesse. Elle ne tarda pas à monter sur le trône de Russie (voy. ANNE IWANOWNA), et il est très-probable qu’elle y eût fait asseoir le comte de Saxe à côté d’elle. Ayant perdu cette même année la comtesse de Kœnigsmarck sa mère, il reprit le chemin de la France, qui jouissait alors d’une paix profonde. Son inaction lui pesait. On vit avec surprise le duc de Courlande s’occuper de la construction d’une machine qui devait faire remonter les bateaux de Rouen à Paris. Bientôt il alla entreprendre en Saxe des travaux plus dignes de lui : accompagné du chevalier Folard qu’il avait beaucoup vanté au roi son père, il ajouta plusieurs ouvrages aux fortifications de Dresde. Auguste II cessa de vivre à cette époque même (1733) ; le comte de Saxe donna des marques d’une profonde douleur. Le prince royal, son frère consanguin, lui témoigna un attachement sincère et lui fit des offres brillantes. Mais la France s’apprêtait à combattre l’Autriche : Maurice courut à Versailles solliciter du service. Il fut envoyé à l’armée du Rhin, que commandait le maréchal de Berwick : on y voyait cinq princes du sang. Le comte de Saxe se distingua par plusieurs actions d’éclat au siège de Philipsbourg. Quoique revêtu du grade de maréchal de camp, lorsque son régiment était de tranchée, il voulut toujours le commander comme simple colonel. Le prince Eugène s’était avancé pour inquiéter le siège : le Comte de Saxe, chargé d’une reconnaissance, tombe au milieu d’un régiment de hussards et