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obéi quelques mois, remonta dans la chaire pour les fêtes de Noël, 1497, et attaqua, devant une assemblée plus nombreuse que jamais, les procédures intentées contre lui, et toute la conduite du pape qui les dirigeait ; on vit alors tous les prêtres refuser l’absolution, la communion et la sépulture à ceux qui avaient fréquenté les prédications de Savonarola, et celui-ci exciter cependant de plus en plus l’exaltation du peuple. Il fut suivi par tout son précédent auditoire au couvent de St-Marc, lorsqu’il fut obligé d’abandonner la cathédrale (1)[1]. Il se croyait sous l’inspiration immédiate de la Providence et prenait les mouvements de son zèle pour des ordres divins et ses pronostics pour des prophéties. Cependant l’enthousiasme de Savonarola et sa pleine confiance dans un secours céleste se trouvèrent tout à coup en opposition avec un enthousiasme non moins vif et une confiance non moins entière. Un moine franciscain, nommé frère François de Pouille, prêchant à l’église de Ste-Croix, se déclara prêt à entrer dans un bûcher ardent pour prouver, en en sortant sain et sauf, que l’excommunication lancée par le saint-père était juste et légitime, pourvu que de son côté frère Jérôme Savonarola y entrât aussi et essayât de prouver par un miracle la vérité de ses prophéties. Frère Dominique de Pescia accepta le déni pour lui-même, croyant son maître appelé à de plus hautes destinées, et il déclara se sentir assuré que Dieu opérerait un miracle en sa faveur. Un peuple avide d’émotions et de spectacles pressa aussitôt les combattants d’entrer dans cette étrange arène, et le gouvernement de Florence fut forcé de permettre cette épreuve miraculeuse pour se décider entre les excommunications du saint-siège et les prophéties du moine inspiré. Cependant le frère François voulait entrer dans le feu avec Savonarola seulement et non point avec son disciple : mais deux autres moines, Pilli et Rondiuelli, s’offrirent à la place du franciscain, et presque tous les moines dominicains de la province de Savonarola, une foule de prêtres et de séculiers, et même des femmes et des enfants sollicitèrent la faveur d’entrer dans le bûcher à la place de Savonarola. Enfin il fut arrêté, avec l’approbation de la seigneurie et de dix citoyens députés à cet effet, cinq par chaque parti, que frère Dominique et Rondinelli entreraient, le 17 avril 1498, dans une espère de corridor ménagé au travers d’un bûcher de quarante brasses florentines de longueur (la brasse est d’environ vingt-deux pouces). Le corridor avait une brasse de

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largeur, et de droite et de gauche, le gros bois de chêne destiné à brûler était entremêlé de fagots et d’épines pour que l’embrasement fût plus rapide. Ce bûcher, qu’on ne pouvait voir sans frissonner, était élevé au milieu d’une estrade, sur la grande place du palais, à Florence. Cette place se remplit d’une foule immense, et, vers midi environ, frère Jérôme, frère Dominique et tous les moines dominicains arrivèrent revêtus d’habits sacerdotaux, chantant des hymnes et portant le St-Sacrement à la main. Les franciscains accompagnèrent de leur côté frère Rondinelli, mais en silence et sans cérémonie, et celui-ci déclara qu’il venait avec l’intention de se soumettre à une mort certaine, mais qu’il le faisait par pure charité chrétienne, afin de prouver que Savonarola n’avait pas le don des miracles, et pour que frère Dominique périt dans le bûcher avec lui. Cependant, lorsque les franciscains virent frère Dominique se préparer à entrer dans le feu avec l’Eucharistie à la main, ils crièrent au sacrilège et à la profanation. Ils lui firent poser successivement l’hostie et ses habits sacerdotaux, et ils élevèrent une foule de disputes sur la manière de procéder à l’épreuve. Plusieurs heures s’écoulèrent pendant cette discussion. Enfin une pluie violente et inattendue força les champions et tout le peuple à se retirer en rendant l’épreuve impossible. Après cette attente trompée, tout l’enthousiasme des Florentines se dissipa. Frère Jérôme devint l’objet du ridicule et du mépris. Le lendemain, dans un sermon à St-Mare, Savonarola prit congé de son auditoire de la manière la plus touchante, déclarant qu’il prévoyait la persécution dont il allait être victime, mais qu’il se dévouait de bon cœur à la mort pour le troupeau qu’il avait formé. En effet, le soir même, un grand tumulte éclata dans la ville parmi ses adversaires. On vint attaquer le couvent de St-Marc, où il logeait, et, pendant que ses ennemis combattaient autour de ce couvent contre un petit nombre de ses partisans enfermés avec lui, on massacrait et l’on pillait dans d’autres quartiers de la ville ceux qui passaient pour lui être favorables. Enfin la seigneurie envoya ordre aux moines de St-Marc de livrer Savonarola avec frère Dominique de Pescia et frère Silvestre Maruffi. Comme on les conduisait en prison, ils furent accablés d’outrages par la populace. Savonarola fut appliqué à la torture, et, comme il était très-faible et très-délicat, il confessa à plusieurs reprises ce dont on l’accusait, se rétractant ensuite dès qu’il était détaché de l’estrapade. Alexandre VI, à qui on avait annoncé par un courrier cette résolution, députa deux juges pour instruire ce procès à Florence. Ceux-ci recommencèrent à mettre à la torture Savonarola, qui autant de fois cédait à la violence des tourments et se rétractait dès qu’ils étaient suspendus. Enfin, il fut condamné à mort par ses juges avec les deux moines ses disciples. Il fut dégradé et brûlé

  1. (1) Le zèle avec lequel il prêcha contre les mauvais livres fut si efficace, que les Florentins apportèrent d’eux-mêmes dans la place publique les Décaméron, les Dante, les Pétrarque, et tout ce qu’ils avaient de tableaux et de dessins licencieux, et ils les brûlèrent le dernier jour du carnaval 1497. C’est ce qui a rendu si rares les premières éditions de ces ouvrages. Aussi le Boccace de Valdarfer, 1471, dont on croit qu’il n’existe plus que trois exemplaires, a été vendu cinquante-deux mille francs à la vente Roxburghe, en 1812, et, sept ans après, le même exemplaire fut encore vendu environ vingt-trois mille francs.