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une lettre à ses commettants, dans laquelle il disait : « La constitution de l’an 3, violée en fructidor an 5, en floréal an 6, en prairial an 7, n’était plus qu’un faible roseau qui pliait dans tous les sens et à tous les vents ; des mains pures, guidées par l’expérience qui nous manquait en l’an 3, vont reconstruire cet édifice usé dès sa naissance. » En janvier 1800, il développa ces mêmes principes, prétendant encore que la révolution du 18 brumaire avait été nécessitée par les nombreux défauts de l’ancienne constitution. Il resta membre du corps législatif après son premier renouvellement en mars 1802. Au mois d’août 1804, il fut élu candidat au sénat conservateur par le collège électoral de son département et nommé presque en même temps chancelier de la quatorzième cohorte de la Légion d’honneur, place qu’il conserva jusqu’à la fin de 1815. La loi sur les régicides ne l’atteignant pas, il put rester dans sa patrie ; seulement on ne le vit plus exercer aucune fonction publique, et il mourut à Évreux dans un âge avancé. M—Dj.


SAVARY (Claude-Étienne), voyageur, né en 1750 à Vitré, en Bretagne, fit avec distinction ses études au collège de Rennes. Son imagination vive et ardente, son esprit inquiet et avide de connaissances lui inspirèrent de bonne heure le goût des voyages. Après avoir séjourné quelque temps à Paris, où il se lia avec Lemonnier, médecin du comte de Provence (depuis Louis XVIII), il partit pour l’Égypte en 1776 et passa trois ans, occupé à étudier la langue, à observer les mœurs, à rechercher et à examiner les monuments. Comme la relation qu’il en a publiée n’est pas en forme de journal, qu’elle a été rédigée depuis son retour, que ses lettres même sont la plupart sans dates et que la première ne porte que celle du 24 juillet 1777, il est impossible de le suivre dans son itinéraire et d’en calculer la durée[1]. On voit seulement qu’après quelque séjour à Alexandrie et à Rosette, il résida longtemps au Caire, d’où il fit quelques excursions à Damiette et dans les environs de la capitale ; mais il ne visita point la haute Égypte, quoiqu’il en ait donné la description. Il revint passer quatre mois à Alexandrie, s’y embarqua en septembre 1779, parcourut pendant près de deux ans plusieurs îles de la Grèce et de l’Archipel, entre autres celle de Crète, qu’il habita quinze mois et sur laquelle il donna des détails précis et circonstanciés. De retour en France, probablement vers le milieu de 1781, il s’occupa de publier le fruit de ses recherches et fit imprimer : 1o le Coran, traduit de l’arabe, accompagné de notes et précédé d’un Abrégé de la vie de Mahomet. Paris, 1783, 2 vol. in-8o ; réimprimés en 1798. Cette traduction, faite pour la plus grande partie en Égypte, est la seule qui rende le génie, le style et le ton prophétique de l’original. Deguignes en fit l’éloge dans le Journal des Savants. On a reproché à Savary d’avoir profité de la froide et ennuyeuse traduction que du Ryer avait donnée longtemps auparavant et de la version farine que Marracci avait publiée dans le but de réfuter le code religieux des Arabes. On doit au contraire lui en savoir gré, puisqu’il a surpasse ses devanciers. La vie de Mahomet, mise en tête de la nouvelle traduction, forme 248 pages. Elle est tirée principalement d’Abou’l Feda et de la Sunnah, recueil de traditions réputées authentiques par les Arabes, et présente par conséquent une idée assez exacte du prophète des musulmans. Savary nie l’épilepsie de Mahomet, supposée par Marracci. Ses notes sont curieuses, instructives et tendent à éclaircir les endroits difficiles. 2o Morale de Mahomet, ou Recueil des plus pures maxime du Coran, Paris, 1784, in-12 et in-18. C’est un extrait de l’ouvrage précédent. L’auteur en a banni tout ce qui respire l’erreur et le fanatisme. 3o Lettres sur l’Égypte, etc., 3 vol. in-8o. Le premier volume, publié en 1788, fut réimprimé l’année suivante avec les deux autres, et l’ouvrage entier le fut encore en l’an 7 (1798) ; traduit en allemand par J.-G. Schneider, Berlin, 1786 ; d’allemand en hollandais, Amsterdam, 1788, in-8o, et en suédois, Stockholm, 1790, in-8o. Ces lettres, adressées par l’auteur à son ami Lemonnier, eurent d’abord une vogue prodigieuse, et tous les journaux en tirent le plus grand éloge. En effet, le style pittoresque de Savary, la brillante imagination qui anime ses vives descriptions transportent le lecteur au milieu des merveilles de la terre des pharaons. On loua son érudition, l’apologie qu’il faisait de l’exactitude des anciens, surtout d’Hérodote et d’Homère, et on ne releva qu’un très-petit nombre d’incorrections, entre autres celle d’employer fréquemment au neutre le verbe promener, sans pronom personnel. Mais Deguignes, dans le Journal des Savants, en convenant que Savary a souvent réfuté Pauw avec succès, qu’il avait reconnu l’emplacement de l’ancienne Babylone d’Égypte, bâtie par les Perses, et que ses lettres sont aussi intéressantes par les détails que par le style, lui reprocha d’avoir en quelque sorte écrit plutôt un roman qu’une relation, de joindre et de mêler trop souvent à ses observations ce que les anciens nous ont appris de l’Égypte ; d’avoir rapporté peu de faits nouveaux, copié Maillet pour ce qu’il dit des pyramides et Joinville pour l’expédition de St-Louis, en y ajoutant quelques notions prises des auteurs arabes[2] ; de n’avoir parlé du Saïd ou haute Égypte que d’après le P. Sicard et des oasis que d’après Quinte-Curce, Salluste, ete. Enfin il trouve ses réflexions un peu exagérées. Tous ces repro-

  1. Au commencement de cette lettre il se justifie du silence qu’il garde depuis trois ans, ce qui ferait croire qu’il s’était rendu en Égypte en 1774, et qu’il y passa cinq ans.
  2. Ces extraits paraissent être ceux que Cardonne a insérés dans la Collection de mémoires relatifs à l’Histoire de France.