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Ce fidèle serviteur vendit la plus grande partie de son héritage au profit de celui qui avait contribué à l’agrandir ; et, après avoir fait des tentatives inutiles pour le replacer sur le trône, il revint à Tours afin de lui fermer les yeux, regrettant de confier ses cendres à une terre étrangère. Ce triste voyage ne fut pas sans avantage pour les lettres. Sannazar ramassa un grand nombre de manuscrits contenant des ouvrages peu connus ou ignorés d’anciens auteurs ; et c’est à ses soins que l’on doit les poèmes de Gratius Faliscus, d’Olympius Némésien, de Rutilius Numatianus, et quelques fragments d’Hippocrate, d’Ovide et de Solin. Après la mort de Frédéric, toutes les affections de Sannazar le rappelaient en Italie, où l’Arcadia venait d’être publiée. Cet ouvrage, malgré quelques défauts, obtint, lorsqu’il parut, l’assentiment général ; et soixante éditions, exécutées dans le cours du 16e siècle, déposent que ce succès contemporain ne s’affaiblit point sous les générations suivantes. Toutes les classes de la société s’empressaient de lire cette élégante production, à laquelle on ne trouvait rien à comparer dans la littérature moderne. Gonzalve de Cordoue, qui avait plus que tout autre contribué à la chute des Aragonais, mit en usage tous les moyens pour se rapprocher d’un si beau génie. Il aurait désiré lui faire célébrer ses triomphes ; mais celui qui avait quitté sa patrie pour suivre un roi dans l’exil n’était pas disposé à chanter les exploits de cet heureux conquérant. Sannazar tempéra la rigueur de ce refus en se rendant à l’invitation qui lui fut adressée par le grand capitaine de l’accompagner dans une tournée qu’il se proposait de faire à Pouzzoles et à Cumes, pour y admirer les derniers débris de la grandeur romaine. Jamais peut-être un plus illustre étranger ne s’y présenta assisté par un plus éloquent interprète. On rapporte que pendant le chemin Gonzalve lui parlait des victoires récentes de l’Espagne et que Sannazar lui rappelait la vieille gloire de l’Italie. « Il ne nous reste plus d’ennemis à combattre », disait le guerrier, « C’est ainsi que parlaient nos ancêtres », répondait le poète, en ayant l’air de lui en dire davantage. Sannazar, en rentrant dans sa patrie, y avait trouvé plus de réputation que de bonheur. Il n’y apercevait plus aucun des objets de son culte et de ses affections. En mettant le pied sur le sol natal, il aurait pu se croire encore sur une terre d’exil. Pontanus avait aussi terminé sa carrière en déshonorant par un acte de déloyauté les derniers jours de sa vieillesse. L’académie qu’il avait fondée lui avait survécu, et c’est parmi ses confrères que Sannazar vint chercher un dédommagement aux pertes douloureuses qu’il avait essuyées. On prétend qu’il en trouva même dans les bras de l’amour, où il osa se jeter de nouveau, malgré son âge avancé et ses premiers souvenirs. Cette inconstance peut

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s’expliquer par la trempe de son caractère, trop tendre pour n’être point passionné. Mais peut-être s’est-on trompé à l’expression de ses sentiments. Sous la plume animée du poète, chaque amie peut devenir une amante. C’est peut-être dans quelques vers adressés à une dame de la cour de Ferdinand II qu’on crut découvrir cette flamme, que les imitateurs de Pétrarque parviennent si difficilement à éteindre dans leurs poésies. Obligé de sortir de Naples pour ne mettre à l’abri de la peste qui s’y était développée en 1527, Sannazar, parvenu à un âge très-avancé, se réfugia dans un village au pied de Vésuve, non loin de la retraite où vivait Cassandra Marchèse, cette dame à laquelle on prétend qu’il avait consacré ses dernières pensées. Dès que la contagion eut cessé, il quitta cet asile et reprit ses occupations ordinaires, que la mort vint interrompre au bout de quelque temps. Il expira le 27 avril 1530, âgé de 72 ans (1)[1]. Ses restes reposent dans un magnifique tombeau élevé à grands frais dans une église (2)[2] que Sannazar fit bâtir sur l’emplacement même de son palais de Mergellina. Ce monument fut exécuté a Carrare par Jean-Ange Poggibonsi, de Montorsoli (3)[3], servite, d’après les dessins de Santacroce, sculpteur napolitain, qui a fourni le bas-relief et le buste. Bembo y fit graver le distique suivant :

De sacro crinari flores : hic ille Maroni
Syncerus musa proximus, ut tumulto.

En entrant dans l’académie de Pontanus, Sannazar reçut le nom d’Actius Sincerus, qui lui est donné dans ce distique et sous lequel il a publié la plupart de ses ouvrages. Il en a composé en italien et en latin : ces derniers sont plus nombreux et les plus estimés. Dans les élégies, il s’est rapproché de Properce, qu’il s’était proposé pour modèle : il faut lui savoir gré d’en avoir su plier le style à exprimer d’autres peines que celles de l’amour. Sannazar sait les oublier pour pleurer la mort de ses amis et plaindre le malheureux sort de sa patrie. Dans un poème sur l’Enfantement de la Vierge, il s’est élevé avec ce sujet si

(1) On n’est pas bien d’accord sur la date de la mort de Sannazar. Crispo, Costanzo et Engenio le font mourir en 1532 ; Pucacchi, Capaccio et le Giovo, une année plus tard. Dans cette disparité d’opinions, nous nous en sommes tenus à l’année marquée sur son tombeau à Mergellina. Cette date est confirmée 1e par le cardinal Seripando, qui, dans son journal conservé à la bibliothèque royale de Naples, a écrit :

1520
Die 24 Aprilia Actius Sincerus maritur

2e par un avis au lecteur placé à la fin de l’édition des Sonetti et des Canzoni, exécutée à Naples en novembre 1630, où l’imprimeur Bultzbach s’excuse des fautes qui se sont glissées dans ce livre, à cause de la mort très-récente de l’auteur. Boccalini s’est trompé en le faisant périr de misère à Rome.

(2) Elle porte même à présent le nom de Santa Maria del parto, Ste Marie de l’enfantement.

(3) On ne comprend pas d’après quelle tradition un écrivain moderne, d’ailleurs très-exact, a pu avancer que ce tombeau était l’ouvrage de Basio Zenchi. Il a voulu dire sans doute Zanchi, dont il existe effectivement un Tumulus sur la mort de Sannazar ; mais ce n’est qu’une pièce de vers, car Zaschi n’était que poète. Voy. Barassi, qui en a écrit la vie.


  1. (1) On n’est pas bien d’accord sur la date de la mort de Sannazar. Crispo, Costanzo et Engenio le font mourir en 1532 ; Pucacchi, Capaccio et le Giovo, une année plus tard. Dans cette disparité d’opinions, nous nous en sommes tenus à l’année marquée sur son tombeau à Mergellina. Cette date est confirmée 1e par le cardinal Seripando, qui, dans son journal conservé à la bibliothèque royale de Naples, a écrit :
    1520
    Die 24 Aprilia Actius Sincerus maritur

    2e par un avis au lecteur placé à la fin de l’édition des Sonetti et des Canzoni, exécutée à Naples en novembre 1630, où l’imprimeur Bultzbach s’excuse des fautes qui se sont glissées dans ce livre, à cause de la mort très-récente de l’auteur. Boccalini s’est trompé en le faisant périr de misère à Rome.

  2. (2) Elle porte même à présent le nom de Santa Maria del parto, Ste Marie de l’enfantement.
  3. (3) On ne comprend pas d’après quelle tradition un écrivain moderne, d’ailleurs très-exact, a pu avancer que ce tombeau était l’ouvrage de Basio Zenchi. Il a voulu dire sans doute Zanchi, dont il existe effectivement un Tumulus sur la mort de Sannazar ; mais ce n’est qu’une pièce de vers, car Zaschi n’était que poète. Voy. Barassi, qui en a écrit la vie.