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Pontanus, qui témoigna le désir de le connaître, et il le prit tellement en affection, qu’après lui avoir ouvert sa maison, il ne le crut pas indigne d’appartenir à son académie. Le zèle de Pontanus, les travaux de ses collègues et la protection dont ce corps était honoré par les Princes aragonais, l’avaient élevé au plus haut degré de splendeur. Mais Sannazar, trop malheureux dans ses affections, qu’un excès de timidité l’empêchait de manifester, n’était pas en état de jouir à ces distinctions ; et ce fut au milieu même de son triomphe qu’il fut sur le point d’attenter à son existence. Mieux inspiré, il prit la résolution de quitter son pays, espérant trouver dans les voyages quelque soulagement à ses peines. On a prétendu qu’il se rendit en France, dont on suppose que l’Arcadia, un de ses ouvrages les plus estimés, offre le tableau et les mœurs. Mais pour donner de la vraisemblance à cette opinion, il faudrait prouver d’abord que les palmiers de l’Egypte (1)[1] ombragent le sol de la France, et dériver les eaux de l’Alphée (2)[2], dont, à son retour à Naples, le poète est obligé de suivre le cours. Le seul souvenir qui reste de ce voyage, c’est celui d’une grave maladie dont Sannazar fut atteint et qui, dans un moment de danger, lui fit craindre de mourir loin de sa patrie, hors des bras de sa mère et sans avoir eu le temps de retoucher les écrits qui auraient pu lui procurer une gloire immortelle. A peine fut-il rétabli, qu’il se décida à retourner à Naples, où de nouveaux chagrins l’attendaient. Charmosyne (3)[3] (tel est le nom sous lequel il désigne quelquefois sa maîtresse) n’existait plus ; et son amant ne put que répandre des fleurs tardives sur la tombe qui la dérobait à ses yeux. Il eut aussi bientôt à pleurer la mort de sa mère, qu’il avait toujours aimée tendrement. Cédant alors aux conseils de ses amis, il alla passer quelque temps à Montella, chez le comte Cavaniglia, son confrère à l’académie de Pontanus. Ce séjour fut consacré par les crayons d’André de Salerne Voy. SABBATINI), qui, chargé de peindre un tableau pour un couvent de cette ville, eut l’idée de grouper aux pieds de la Vierge les hôtes de Cavaniglia, dont il emprunta les traits pour retracer ceux des apôtres (4)[4]. En attendant, Sannazar acquérait tous les jours plus de considération. L’accueil que le public faisait à ses vers les rendit célèbres à la cour, où l’auteur fut bientôt appelé. Il vécu dans l’intimité des princes aragonais, auxquels il se dévoua entiè

(1) La orientale palma (Arcad., 1ère prose).

(2) Voyez dans la 12e prose de l’Arcadia, la description du voyage sous-marin que le poète est obligé de faire en revenant à Naples.

(3) Sannazar l’appelle indistinctement Philis, Amaranthe et Chermosyne : ce qui prouve que ce sont des noms purement poétiques. Dans presque toutes les éditions on lit Hermosynen ; nous avons préféré Chermosynen , qui en grec signifie joie, comme Philis , amour et Amaranthe, immortelle.

(4) Ce tableau fait maintenant partie de la galerie Borbonia, à Naples.


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rement. Voulant flatter leur goût, il composa plusieurs de ces comédies connues sous le nom de Gliommeri (Glomerus) ou peloton, peut-être à cause de l’art avec lequel l’action en était déroulée. Une de ces pièces fut représentée sur le théâtre de la cour pour célébrer la prise de Grenade et la chute des Maures en Espagne (1)[5]. C’est de toutes ces farces de Sannazar la seule qui soit arrivée jusqu’à nous. Elle est écrite en italien, à la différence des autres, qui étaient, dit-on, en dialecte napolitain (2)[6]. Sannazar ne se bornait pas à amuser ses protecteurs ; il savait aussi les défendre. Lorsque le duc Alphonse se mit à la tète d’une armée pour envahir les Etats de l’Eglise, Sannazar le suivit (3)[7] dans cette désastreuse campagne, qui fut une des causes des malheurs de la maison d’Aragon. Le faible Alexandre VI se contenta de travailler, avec Ludovic Sforza, à appeler en Italie les armes de Charles VIII ; et la conquête que ce monarque fit du royaume de Naples sépara Sannazar des princes aragonais, qui s’étaient réfugiés en Sicile. Il leur resta attaché par ses sentiments et ne flatta pas, comme Pontanus, l’orgueil de leurs vainqueurs (4)[8], dont le triomphe ne fut que momentané. Au retour de Ferdinand II, le courageux dévouement de Sannazar fut payé d’indifférence ; et ce ne fut que sous le règne du successeur de ce monarque qu’il en fut récompensé. Frédéric, en prenant les rênes de l’Etat, s’empressa d’y rétablir l’ordre public, d’éteindre l’esprit de faction et d’accorder une généreuse protection aux lettres et aux arts. Au milieu de ces graves occupations, les services de Sannazar ne furent point oubliés, et le roi lui fit présent de la villa de Mergellina, ancienne résidence des princes angevins, que le poète a immortalisée dans ses vers. Ces bienfaits attachèrent de plus en plus Sannazar à la fortune de Frédéric, qu’il accompagna dans l’exil, lorsque, attaqué par les armées combinées de la France et de l’Espagne, son sceptre se brisa sous les efforts de ceux mêmes qui auraient dû le défendre. Dépossédé de sa couronne, Frédéric vint chercher un asile en France, où il trouva dans Sannazar un compagnon dévoué et désintéressé de ses disgrâces.


(1) Il fut joué, le 4 mai 1492, en présence d’Alphonse, duc de Calabre, au château Capurno.

(2) C’est Volpi qui l’assure ; il avait rassemblé plusieurs de ces Gliommeri, qui devaient faire partie de la belle édition de Sannazar ; mais, en ayant trouvé le style bas et vulgaire, il crut devoir les supprimer, craignant qu’elles ne portassent atteinte à la réputation du poète.

(3) On s’est trompé en disant que Sannazar avait suivi Alphonse en Toscane. Il ne dépassa point la ville de Rome, comme il nous l’apprend lui-même dans la 1ère élégie du 11e livre. Le poète y raconte ce qu’il a vu dans le cours de cette expédition. Ipse ego quae vidi referum : et il ne vit que Tuscula latius (Tusculum ou Franscati, et non pas la Toscane ; limpha aniena : la cascade de Tivoli ; latios agros, la campagne de Rome ; araes nomentinas et magus Tyburia : les murailles de Nomentum et de Tivoli, dans la Sabine, etc. Il n’y a pas un seul mot qui se rapporte à la Toscane : et pourtant cette erreur a été partagée par tous ceux qui ont écrit la vie de Sannazar.

(4) Voyez la 8e élégie du 1er livre, adressée à Rochefort (Rocunfortia), grand chancelier de Charles VII (voy. son article).


  1. (1) La orientale palma (Arcad., 1ère prose).
  2. (2) Voyez dans la 12e prose de l’Arcadia, la description du voyage sous-marin que le poète est obligé de faire en revenant à Naples.
  3. (3) Sannazar l’appelle indistinctement Philis, Amaranthe et Chermosyne : ce qui prouve que ce sont des noms purement poétiques. Dans presque toutes les éditions on lit Hermosynen ; nous avons préféré Chermosynen, qui en grec signifie joie, comme Philis, amour et Amaranthe, immortelle.
  4. (4) Ce tableau fait maintenant partie de la galerie Borbonia, à Naples.
  5. (1) Il fut joué, le 4 mai 1492, en présence d’Alphonse, duc de Calabre, au château Capurno.
  6. (2) C’est Volpi qui l’assure ; il avait rassemblé plusieurs de ces Gliommeri, qui devaient faire partie de la belle édition de Sannazar ; mais, en ayant trouvé le style bas et vulgaire, il crut devoir les supprimer, craignant qu’elles ne portassent atteinte à la réputation du poète.
  7. (3) On s’est trompé en disant que Sannazar avait suivi Alphonse en Toscane. Il ne dépassa point la ville de Rome, comme il nous l’apprend lui-même dans la 1ère élégie du 11e livre. Le poète y raconte ce qu’il a vu dans le cours de cette expédition. Ipse ego quae vidi referum : et il ne vit que Tuscula latius (Tusculum ou Franscati, et non pas la Toscane ; limpha aniena : la cascade de Tivoli ; latios agros, la campagne de Rome ; araes nomentinas et magus Tyburia : les murailles de Nomentum et de Tivoli, dans la Sabine, etc. Il n’y a pas un seul mot qui se rapporte à la Toscane : et pourtant cette erreur a été partagée par tous ceux qui ont écrit la vie de Sannazar.
  8. (4) Voyez la 8e élégie du 1er livre, adressée à Rochefort (Rocunfortia), grand chancelier de Charles VII (voy. son article).