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et de l’amour, dont l’auteur n’a cru devoir conserver que l’analyse et des fragments. La guerre avec l’Autriche vint l’arracher à ses amusements littéraires. Il suivit son corps en Italie, devint aide de camp du maréchal de Broglie et se fit remarquer par son sang-froid à la bataille de Guastalla (1734). St-Foix ne put obtenir le brevet de capitaine qu’il demandait pour prix de ses services ; et il profita de la réforme de son régiment pour donner sa démission[1]. Il revint à Rennes, où il acheta la charge de maître particulier des eaux et forêts ; mais le goût des lettres le rappela bientôt à Paris, où ses duels fréquents l’avaient bien plus fait connaître que ses premières productions dramatiques. Passionné pour le théâtre, il fit représenter, de 1740 à 1761, une vingtaine de pièces, dont la plupart eurent un succès qu’il est difficile d’expliquer aujourd’hui. St-Foix se flattait d’être le créateur d’un genre nouveau ; mais, comme Laharpe l’observe judicieusement, ses pièces ne sont pas des comédies et devraient avoir un autre titre. Ce sont de petits tableaux de féérie ou de mythologie qui n’ont rien de dramatique et surtout rien de comique. Il avait débuté par l’Oracle (1740), dont la vogue doit être attribuée au jeu de Grandval et de la belle Gaussin, qui remplissaient les principaux rôles[2]. C’est la première pièce où sur un théâtre régulier l’on se soit permis d’arranger des tableaux de volupté, apparemment parce qu’il est plus aisé de parler aux sens qu’à l’esprit et au cœur (Cours de littérature, t. 11, p. 420)[3]. Le petit acte du Sylphe, joué en 1743 ; celui des Grâces, en 1744, sont, avec l’Oracle, les seules pièces de St-Foix qui se soient soutenues assez longtemps au théâtre, où l’Oracle seul est resté. Il a été traduit en anglais (voy. Cibber). Les Lettres turques, faible imitation des Lettres persanes de Montesquieu, furent pour St-Foix le sujet d’un nouveau triomphe. La réputation qu’il s’était faite d’un spadassin déterminé retenait les journalistes. Aucun n’osait se permettre de porter un jugement défavorable sur des ouvrages dont l’auteur avait menacé plusieurs fois de couper les oreilles au premier qui l’attaquerait ; et l’on était convaincu qu’il ne s’en tiendrait pas à la menace (voy. la Correspondance de Grimm, t. 3, p. 60). Quelques passages des Lettres turques firent mal à propos soupçonner St-Foix de partager les principes des philosophes : un homme de son caractère ne pouvait appartenir à aucune secte. Il disait franchement sa pensée sur les personnes et sur les choses : mais il était beaucoup plus circonspect en écrivant ; et s’il se permettait de critiquer les abus dont la réforme lui paraissait indispensable, c’était sans affecter le ton tranchant et doctoral qu’avaient adopté les écrivains de la même époque. Ses Essais sur Paris offrent un tableau varié de nos mœurs et de nos usages depuis l’origine de la monarchie, et sont une lecture moins instructive qu’amusant. On y trouve beaucoup de choses fausses ou hasardées qui souvent n’ont pas de rapport au sujet. En rendant compte des premiers volumes, le rédacteur du Journal chrétien (voy. Dinouart) jeta quelques doutes offensants sur les opinions religieuses de l’auteur. St-Foix, au lieu de se justifier, rendit plainte au Châtelet contre les journalistes ; mais il voulut bien se contenter d une lettre d’excuse, et l’affaire n’eut pas de suite [4]. Ses querelles fréquentes et son humeur insociable ne l’empêchaient pas de jouir d’une certaine considération. Il obtint une pension sur le Mercure et fut décoré du titre d’historiographe de l’ordre du St-Esprit. Dans la retraite qu’il s’était choisie à l’une des extrémités de Paris (rue des Fossés-St-Victor), il recevait la visite de quelques gens de lettres qui lui pardonnaient ses brusqueries en faveur de son esprit et consentaient à ne le contredire jamais sur rien ; mais Sabatier et la Dixmerie sont les seuls avec lesquels il n’ait pas fini par se brouiller. On assure que dans les derniers temps de sa vie il s’était beaucoup adouci. Il vit approcher sa fin avec calme et mourut le 25 août 1776. Il avait institué l’abbé de Véry son exécuteur testamentaire et réglé tranquillement avec lui tout le détail de ses obsèques. Parmi les duels qu’eut St-Foix, il en est un qui fit trop de bruit dans le temps pour qu’on puisse se dispenser d’en dire quelques mots. Un jour qu’il se trouvait au café Procope, il vit entrer un garde du roi qui demanda du café au lait avec un petit pain, en ajoutant : « Cela me servira de diner. — Vous faites là, lui dit St-Foix, un f.... dîner[5]. » Il répéta si souvent ce propos que le garde offensé lui fit signe de sortir et le blessa d’un coup d’épée au bras : « Qu’importe, dit alors St-Foix, cela n’empêche pas qu’un petit pain et une tasse de café ne fassent un f... diner ». Au reste, St-Foix a toujours nié la vérité de cette anecdote ; et la plupart de celles du même genre qu’on lui attribue paraissent évidemment fausses. Comme écrivain, St-Foix a de l’esprit et de l’imagination, et son style ne manque pas d’un certain éclat ; mais ses jugements en matière de goût sont loin d’être irréprochables. Malgré la rudesse de ses manières, St-Foix avait des qualités

  1. Suivant Fiévée, il se fit tant de querelles dans son régiment qu’il fut obligé de quitter le service.
  2. À l’une des premières représentations de cette pièce, il s’élança sur le théâtre et arracha la baguette des mains de l’actrice qui jouait le rôle de la Fée, en lui disant : « Je n’ai pas voulu peindre une sorcière, c’est une fée dont j’ai besoin. »
  3. Palissot porte un jugement plus favorable de St-Foix dans ses Mémoires de littérature. « Le genre qu’il avait choisi, dit-il, n’est point celui de le véritable comédie ; mais il avait perfectionne ce genre, dont il avait trouvé des modèles dans quelques pièces de Lafont et d’Autreau : l’Oracle, les Grâces, etc., offrent des tableaux gracieux dans le goût de l’Albane. »
  4. Le Factum de St-Foi fait partie du Recueil des facéties parisiennes pour les six premiers mois de l’an 1760, in-8°.
  5. Cette aventure a été mise sur la scène dans l’opéra-comique intitulé Une aventure de St-Foix, on le Coup d'épée (joué au théâtre Feydeau le 28 janvier 1802), dont les paroles sont de M. Alex. Duval et d’un anonyme (M. de St-Chamans).