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l’ancre, mais a une grande distance l’une de l’autre et mouillées trop près de la côte. Ruyter, voyant aussitôt le parti qu’il peut tirer de cette mauvaise disposition, attaque vivement l’armée anglaise, qui se trouvait la plus proche de lui, et s’attache particulièrement au vaisseau que montait le duc d’York. On fit de part et d’autre des prodiges de valeur, mais l’avantage fut du côté des Hollandais. La nuit seule put séparer les combattants. Le lendemain, au point du jour, le comte d’Estrées voulut recommencer le combat ; mais le vent, qui avait changé, étant devenu favorable à l’armée combinée, Ruyter ne jugea pas à propos de s’exposer à un second engagement, et il fit route pour la Zélande. Par cette manœuvre, le champ de bataille demeura à l’armée combinée ; mais il résulta de cette action que les côtes de la Hollande furent désormais en sûreté. Au mois de mai de l’année 1673, les États-Généraux furent instruits que le comte d’Estrées, avec une escadre de 30 vaisseaux, devait se réunir dans la Manche à celle des Anglais, commandée par le prince Rupert. Ils résolurent de s’opposer à cette jonction. On arma immédiatement 50 vaisseaux, et Ruyter en prit le commandement. Cet amiral, dans les trois combats qu’il soutint, les 7, 14 et 23 juin, ne démentit point son ancienne gloire, et la bravoure qu’il y montra fut telle que le comte d’Estrées, écrivant à Colbert, lui disait « qu’il voudrait avoir payé de sa vie la gloire que Ruyter venait d’acquérir ». D’Estrées, ajoute Voltaire, méritait que Ruyter eût ainsi parlé de lui. Toutefois la valeur et la conduite furent tellement égales de tous les côtés que la victoire resta toujours indécise. La guerre continuant entre la France et la Hollande, Ruyter fut chargé, au mois de juillet 1674, d’une expédition contre la Martinique ; elle ne réussit point, et il rentra, quelques mois après, dans le port, ayant perdu environ 1 200 hommes dans cette attaque infructueuse. Au commencement de l’année 1678, les habitants de Messine, s’étant révoltés contre l’autorité espagnole, implorèrent la protection de la France, qui leur envoya des vaisseaux et des troupes. L’Espagne, de son côté, eut recours aux Hollandais, ses anciens ennemis, mais qu’elle regardait comme les maîtres de la mer. Ruyter fut envoyé, avec 24 vaisseaux, au secours de Messine, déjà occupée par les Français.

Il y trouva un adversaire digne de lui. Duquesne[1] commandait l’armée navale, composée de 30 vaisseaux ; Ruyter n’en avait que 29, en comptant les vaisseaux espagnols qui s’étaient réunis à lui. Les deux armées s’étant rencontrées à trois lieues d’Agousta, par le travers du golfe de Catane, le combat s’engagea entre les deux avant-gardes. Il fut si terrible qu’en peu d’heures un grand nombre de vaisseaux étaient hors de combat de part et d’autre. Celui que montait Ruyter fut de ce nombre. Lui-même eut, dès le commencement de l’action, le dessus du pied gauche emporté par un éclat de bois, et peu d’instants après, la jambe droite fracassée par un boulet. Il continua cependant de donner ses ordres jusqu’à la fin du combat ; mais voyant cinq de ses vaisseaux près de tomber, avec le sien, au pouvoir des Français, et la plus grande partie des autres hors d’état de combattre, il fit donner le signal de la retraite, et, favorisé par la nuit, il parvint à entrer à Syracuse, où il mourut de ses blessures, le 29 avril 1676. Son cœur fut porté à Amsterdam, et les États-Généraux lui firent élever un superbe mausolée. Sa mémoire est encore aujourd’hui dans la plus grande vénération en Hollande. Le conseil d’Espagne lui donna le titre de duc ; mais les patentes qui lui en furent expédiées n’arrivèrent qu’après sa mort. Ses enfants les refusèrent, plus glorieux de porter le nom de Ruyter que d’hériter d’un titre inutile à des républicains. Louis XIV eut assez de grandeur d’âme pour témoigner obliquement des regrets de la perte de cet illustre marin. On lui représente qu’il était défait d’un ennemi dangereux. Il répondit[2] «  qu’on ne pouvait s’empêcher d’être sensible à la mort d’un grand homme » [3]. Ruyter a trouvé de nos jours des biographes empressés de lui rendre justice. Sa vie a été écrite en hollandais par Engelberts Gerrits, 1825 ; par. J. Brand, 1827 ; par C.-A. Last, 1862. M. Otto Klopp a publié, en 1852, un volume allemand : Vie et hauts faits de l’amiral de Ruyter.


RUYVEN (Pierre Van), peintre, naquit en 1650. Il avait déjà donné quelques marques de son talent, lorsque Jacques Jordaens se chargea de l’initier dans tous les secrets de l’art. Sous cet habile maître, Ruyven ne tarda pas d’acquérir une facilité prodigieuse pour la composition et l’exécution. Doué d’une imagination des plus fécondes, il a obtenu un rang très-distingué parmi

  1. Voy. ce nom.
  2. Voltaire, Siècle de Louis XIV.
  3. La Hollande abondait alors en hommes capables de faire de grandes choses et en hommes dignes de les célébrer. Un de ses meilleurs écrivains, Gaspar Brandt, a écrit avec beaucoup de soin, mais d’une manière un peu prolixe, la Vie de Ruyter, traduite en français par Aubin, Amsterdam, 1690, 1 vol. in-fol. Les muses hollandaises et les muses latines chantèrent à l’envi l’illustre marin, non moins respectable par ses sentiments patriotiques que par ses talents et sa bravoure. Le lendemain des obsèques de Ruyter, Pierre Francine prononça, a l’Église-Neuve Amsterdam, son oraison funèbre ; et, quoique ce fut en vers latins, la foule se porta à l'église avec une telle impétuosité que la milice bourgeoise eut une peine infinie à maintenir l’ordre. Cette milice était commandée par Jean Broukhusius, lui-même poëte latin du premier ordre (voy. Brockhuizen). On raconte que Broukhusius questionnait en latin beaucoup de curieux empressés, et qu’il prêta de préférence des facilités pour entrer à ceux qui lui répondaient dans cet idiome. (Onomast., t. 6, p. 247) se trompe en disant que le panégyrique de Francius fut en hollandais. Bon puriste dans sa langue maternelle, Francius en eût été capable, et il l’a prouvé en se traduisant lui-même. Voy. Hofman-Peerlkamp, Vita Belgarum qui latina scripserunt (Bruxelles, 1822, in-8°), p. 410 et suiv. Le portrait de Ruyter a souvent été gravé ; on a proposé, pour mettre au bas, un distique assez singulier par l’espèce d’harmonie imitative qu’il présente :

    Terruit Hispanos Ruyter, ter terruit Angles,
    Ter ruit in Gallos, territus ipse ruit.

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