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conseils, de la fécondité de ses expédients et de la justesse de ses prévisions. La politique qu’il propose est toujours généreuse, tout en restant praticable. « Mais, écrivait-il, dans ce gouvernement de l’inaction, l’intelligence ne peut rien contre les habitudes ; ils comprennent et n’osent agir. » Et ailleurs : « On persévère dans les bonnes résolutions, mais on n’agit pas ; ce n’est pas l’idéal du gouvernement, c’est le gouvernement à l’état d’idée. » — Pendant les années 1846 et 1847, une vive émulation de réformes saisissait tous les États de la Péninsule et entraînait au commencement de 1848 la proclamation de constitutions à Naples, à Turin, enfin à Rome, où le pape établissait, le 14 mars, le régime constitutionnel. La révolution de février enleva à Rossi l’ambassade de Rome, avec ses places et ses titres. Cet homme, que les partis ont parfois peint comme un pur ambitieux, fut rempli d’enthousiasme lorsqu’il vit l’Italie entière s’élancer, sous le drapeau du roi Charles-Albert, à la conquête de son indépendance. Saisi de la plus généreuse ardeur, il envoya un de ses fils combattre pour cette cause de sa jeunesse, sur laquelle ni l’âge, ni les déceptions, ni les agitations du parti révolutionnaire n’avaient pu le refroidir. Dans le printemps de 1848, il écrivait trois fragments restés inédits, qu’il intitulait Lettre d’un dilettante de la politique sur l’Allemagne, la France et l’Italie. Nobles lettres, pleines d’âme, pleines de sens, qu’il adressait à une dame anglaise, et qu’il commençait par des paroles dignes d’un poète patriote ; elles montrent bien quel feu d’imagination, quelle ardeur de sentiments et quel élan de cœur il y avait sous cette apparence impassible et sous cet air dédaigneux de philosophe désabusé et de politique sans illusion. « Vous souvenez-vous, disait-il, vous souvenez-vous des vers de votre poëte sur le cadavre de la Grèce ? Eh bien, pour vous, pour moi, pour quiconque a l’amour de la poésie, de la science, de la civilisation, la Grèce et l’Italie sont deux sœurs diverses d’âge, égales de beauté et de gloire. Elles étaient mortes l’une et l’autre ; mais depuis que la première est presque ressuscitée, vous ne pouviez me réciter ces beaux vers sans que cette pensée se tournât douloureusement sur celle qui gisait toujours belle, mais inanimée et froide. Dieu soit béni ! nous avons donc vu ce sein se gonfler de nouveau du souffle de la vie, ces joues se colorer et ce bras se lever. Et la première action a été un combat, une victoire, un prodige ! Vous femme, vous en avez pleuré d’admiration et de joie ; moi homme, en rira qui voudra, j’en ai pleuré comme vous. » Dans ces lettres, il soutenait la nécessité, l’urgence de mettre fin à toutes les divisions, de se rallier au roi Charles-Albert, de créer un royaume de l’Italie du Nord, comprenant la Lombardie, la Vénétie, Parme et Modène. Il indiquait au pape, comme seule ressource, de prendre franchement en main la cause italienne. Le pape vit en lui un dernier recours contre l’anarchie. Il espéra pouvoir, sans danger pour son trône, inaugurer plus complétement l’ère des réformes. Au mois de septembre, après de longues hésitations et de longs pourparlers, vivement pressé par Pie IX, Rossi accepta de devenir le chef des conseils du saint-siége, et, entamant l’œuvre des réformes, il eut l’art d’obtenir du clergé de contribuer pour trois millions d’écus, projeta la réorganisation civile de l’État romain et négocia à Turin, à Florence, à Naples, un plan de confédération italienne ayant le souverain pontife pour fondateur et pour guide, plan analogue à celui que Napoléon III devait reprendre à la paix de Villafranca et poursuivre également avec peu de succès. De telles réformes et de tels projets devaient avoir contre eux à la fois les partisans entêtés des vieux abus et les fanatiques de la république unitaire. Peut-être, pour tout dire, Rossi contribua-t-il à appeler l’impopularité sur sa tête par des airs de hauteur et de dédain qui lui étaient habituels et trop peu dissimulés à l’égard d’adversaires qu’il méprisait. Il lui manqua trop de cette affabilité et de cette bonhomie qui devaient après lui contribuer à la puissance et à la popularité du comte de Cavour. Il imposait plus qu’il n’attirait. Il avait le don quelquefois malheureux de blesser à l’excès et d’ulcérer l’adversaire ; mais devant de tels ennemis, toute intention généreuse et conciliante était un crime. Le 15 novembre 1848, jour où Rossi devait exposer ses projets à la chambre des députés, il tomba sous le poignard d’un de ceux qui avaient comploté sa perte. L’histoire met au nombre des grandes choses dont elle garde le témoignage la fermeté héroïque de cette victime des idées libérales et la beauté antique de sa mort. Il fut averti quatre fois, ce jour-là même, d’abord par une lettre anonyme, ensuite par la femme d’un de ses collègues, qui lui écrivit pour lui exprimer ses inquiétudes, en troisième lieu par un camérier du pape, enfin à sa sortie du cabinet pontifical par un prêtre qui l’attendait pour l’instruire du redoutable projet. « Je n’ai as le temps de vous écouter, lui dit Rossi, il faut que j’aille sur-lechamp au palais de la chancellerie. — Il s’agit de votre vie, ajoute le prêtre en le retenant par le bras ; si vous y allez, vous êtes mort. » Frappé de ces avis successifs, Rossi s’arrêta un instant, réfléchit en silence, puis il continua sa marche en disant : « La cause du pape est la cause de Dieu, Dieu m’aidera. » Les conjurés l’attendaient sous le péristyle de la chancellerie, les uns sous la colonnade qu’il devait traverser, les autres sur les marches de l’escalier par où il devait monter dans la salle où siégeaient les députés déjà réunis. En le voyant, les premiers se