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force, un mode d’application et un résultat. Peu importe que le produit soit matériel ou immatériel ; le travail est productif toutes les fois que le résultat de la force appliquée est de nature à satisfaire au besoin. Aussi combat-il l’idée d’Adam Smith, qu’il y aurait un travail improductif par essence, de même qu’il combat l’idée des physiocrates, qui s’imaginaient voir dans l’agriculture une puissance créatrice par privilège. — Disciple, sur beaucoup de points, des économistes anglais, Rossi s’en sépare avec avantage sur la définition du capital. Ce n’est pas qu’il en donne une notion essentiellement différente et qu’il y introduise des divisions nouvelles ; mais il marque mieux qu’on ne l’avait fait encore la moralité de ce fait né du travail et de l’épargne, et il proteste contre l’opinion de ceux qui placent dans le capital les avances que l’entrepreneur fait aux travailleurs. Il s’élève contre le matérialisme qui assimile le salaire de l’ouvrier, rétribution de travail, comme le profit forme celle du capitaliste, au fourrage dont le laboureur fait l’avance pour alimenter les animaux nécessaires au labour, ou au charbon de terre que consomme une machine à vapeur. « La machine à vapeur, dit-il, n’est destinée qu’à produire, elle n’est qu’un moyen ; si son action paye le charbon qu’elle consomme, les dépenses qu’elle exige, on la fait agir ; autrement on la brise. Mais l’homme est son propre but ; il n’est pas un moyen ; il ne produit pas pour produire. Le monde, grâce à Dieu, n’est pas un tread mill dans lequel une puissance surhumaine ait enfermé l’homme pour qu’il ne soit exclusivement qu’un moyen. » — Il est à remarquer que Rossi est un des premiers qui aient appelé l’attention sur les avantages de l’association. C’est là le mérite saillant d’un morceau resté célèbre, ses Observations sur le droit civil français, considéré dans ses rapports avec l’état économique de la société. L’éminent économiste y reproche à nos codes de ne contenir guère jusqu’ici, sur les sociétés industrielles, que des têtes de chapitres. Parmi les associations industrielles, il n’en est peut-être pas de plus utiles que les assurances, qui enlèvent au malheur sa funeste puissance en divisant ses effets, qui ôtent de leur danger aux entreprises les plus hardies, qui enfin permettent à l’intérêt ennobli de prendre en quelque sorte les formes de la charité. Eh bien, dit-il, c’est à peine s’il en est question. Il remarque aussi que l’emphytéose, qui par sa durée forme une espèce d’association à long terme entre les intérêts du fermier et du propriétaire, n’a pas même été mentionnée dans le code civil. Il explique ces lacunes en disant que, lors de la promulgation du code Napoléon (1803-1804), la révolution sociale seule était consommée, tandis que la révolution économique était loin d’avoir atteint le terme de sa carrière. L’industrie proprement dite était alors pauvre, faible, subalterne, le commerce maritime anéanti, le crédit presque inconnu. L’esprit d’association bégayait à peine quelques projets sans portée. Des administrateurs habiles, des laboureurs infatigables, des soldats invincibles, voilà, dit Rossi, le fonds de la France à cette époque. Le cours d’économie politique complète ces indications. Rossi y exprime à plusieurs reprises le vœu que l’association pénètre davantage dans nos mœurs ; il voit en elle la source de modifications dans notre état social et économique, non moins profondes que celles qui ont été le résultat de la vapeur et des autres progrès de l’industrie. Il recommande aux petits propriétaires la pratique de l’association agricole pour l’achat et la vente de certains produits, pour l’emploi de certaines matières et certains instruments, pour la confection de certains travaux d’irrigation, par exemple, comme seul remède suffisamment efficace aux inconvénients du morcellement exagéré ; il loue d’ailleurs la petite propriété pour ses effets moraux et pour sa fécondité sans égale dans un très-grand nombre de cas. Comme exemple heureux d’association, il cite les fromageries du Jura, qui, par la mise en commun du lait, permet à des paysans possesseurs d’une ou deux vaches d’arriver aux résultats de la grande exploitation. Peut-être même ne tient-il pas assez de compte ici des résistances qu’oppose l’esprit défiant et routinier de nos paysans, ainsi que de l’absence d’un capital suffisant. -Aux craintes sur l’excès de production auxquelles Malthus et Sismondi s’étaient eux-mêmes associés, Rossi, suivant d’ailleurs en cela les enseignements de J.-B. Say, dont il tire un parti habile et judicieux, oppose qu’il ne peut pas y avoir de trop-plein général, de general glut, comme disent les Anglais ; que la difficulté de placer certains produits attestait seulement l’insuffisance de produits à donner en échange, et qu’il y avait dans ce fait, dont on se plaignait, beaucoup plus un indice de misère que de pléthore. Les industriels devaient mettre sans doute leur prudence à éviter ces ruptures d’équilibre dans la production qui se résolvent par des crises souvent terribles ; mais que le genre humain, disait-il, se garde de faire consister sa sagesse à s’arrêter prématurément dans la carrière de la production ! Elle seule peut fournir les éléments encore trop insuffisants de l’aisance aux populations nécessiteuses. — Plusieurs leçons de cette première partie de son cours d’économie politique sont consacrées à la défense de la liberté du commerce. Le système protecteur avait depuis l’empire pris une grande extension. Les tarifs de l’empire avaient été fort dépassés par la restauration. Le gouvernement de juillet devait, il est vrai, les adoucir sur un certain nombre de points importants ; mais l’esprit qui les avait inspirés n’avait pas changé, et le système prohibitif conservait toutes ses positions vers cette date de 1835 et 1836. L’agriculture se complaisait dans