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damnation, ni les réfutations de Lanfranc et du célèbre archevêque de Cantorbéry ne purent altérer les convictions de Roscelin, tant il y a de puissance dans la pensée humaine, et tant aussi est grande, chez certains esprits, la haine de l’autorité, quelque juste et quelque légitime qu’elle soit. Il règne beaucoup d’incertitude sur la destinée de Roscelin après ces événements : l’Histoire littéraire de la France nous présente sa rétractation comme probable[1], et nous dit qu’elle fut due aux sollicitations d’Yves, évêque de Chartres, et que Roscelin, revenu de ses erreurs, termina sa vie dans les fonctions de chanoine de l’église de St-Martin de Tours. Cependant, outre que cette version parait peu en harmonie avec les probabilités, car on ne voit pas généralement les esprits de cette nature revenir sur le passé, nous trouvons Roscelin de nouveau en opposition avec l’Église à propos d’un traité contre les désordres du clergé qu’il publia pendant son séjour en Angleterre[2], et qui fut réfuté par un Français nommé Thibaut d’Étampes, qui, comme Roscelin. enseignait à Oxford[3]. Le chanoine voulait refuser l’entrée dans les ordres aux enfants issus des unions illégitimes des prêtres. Un pareil zèle, tout sage qu’il était dans son principe, irrita le clergé anglais à tel point que Roscelin ne se crut plus en sûreté et se vit obligé de revenir en France. Il fallut alors qu’il abjurât, et quelques-uns assurent même qu’il reçut une in amante correction des mains des chanoines ses collègues[4]. En vain Roscelin demanda-t-il un asile à Yves, évêque de Chartres, qui n’osa point l’accueillir dans son diocèse, craignant que sa présence n’y excitât de graves désordres et que le coupable ne fût lapidé par le peuple. Il l’engagea donc à une nouvelle rétractation plus explicite et plus complète que les précédentes. Mais Roscelin ne suivit point ce dernier conseil ; il osa même écrire contre Robert d’Arbrissel, personnage vénéré et qui jouissait d’une grande réputation dans l’Église. Il disparaît alors de l’histoire jusqu’en 1121, où on le voit se porter accusateur d’Abélard auprès de Guillaume, évêque de Paris, et devenir son adversaire à propos du livre de celui-ci sur la Trinité. Abélard répondit par une lettre que nous avons encore et qui forme la vingt et unième dans l’édition de ses œuvres que nous possédons ; il y expose, avec ses propres sentiments, toute la conduite de Roscelin (1). Roscelin espérait-il se réconcilier de cette manière avec l’Église ? C’est ce que nous ignorons ; mais nous ferons remarquer que rarement un esprit très-indépendant a acquis pour cela plus de tolérance pour les opinions des autres. Nous en trouvons un exempe au 10e siècle à l’occasion de Scot Erigène, qui, tout hétérodoxe qu’il était, n’en écrivit pas moins contre le malheureux moine Gotescalc (2). Ici Roscelin ne se montra pas plus indulgent, et pourtant Abélard n’était pas plus coupable que lui. Au reste, son accusation ne fut pas ce qui fit condamner Abélard, mais bien celle que St-Bernard dirigea et poursuivit avec tant de persistance. Les dernières années de sa vie sont enveloppées d’une profonde obscurité, mais on ne voit nulle part qu’il se soit manifestement rétracté. La philosophie de Boscelin ne nous est malheureusement connue que d’une manière générale, et nous manquons de détails sur ses véritables opinions par la perte de ses écrits ; du moins le témoignage de ses adversaires peut servir à compléter les recherches, et nous renverrons ceux qui désireraient approfondir ce point de la philosophie du moyen âge au Traité de la foi de St-Anselme, aux histoires générales et surtout particulières de la philosophie. Voyez spécialement : Rousselot, Études : ur la philosophie du moyen âge, 1840, 3 vol. in-8° ; Cousin, Introduction aux œuvre : inidites d’Abélard ; Fleury, Histoire ecclésiastique ; Pluqllet, Dictionnaire des héréaíeli Robrbacher, Histoire eeclårùutíque. Nous n’indiquons que pour mémoire Brucker, Hist. crítica philorophiœ, t. 3 ; il est peu développé. On trouve des renseignements plus étendus dans le tome 2 de l’Hiuoire des révolution : de la philosophie en France pendant le moyen âge par l’auteur de cet article. C-1 :-N.


ROSCHER (Guru./mms), habile économiste allemand, né’le 21 octobre 1817 à Hanovre, était fils d’un conseiller supérieur au ministère du commerce qui s’était acquis une grande réputation de savoir et de patriotisme, grâce à sa coopération à la rédaction des codes hanovriens, ainsi qu’à ses efforts en faveur de l’indépendance de l’Allemagne. Après avoir commencé ses études au gymnase de sa patrie, Guillaume Roscher passa à l’université de Gœttingue et ensuite à celle de Berlin. Durant quatre années (1835-1839) il suivit les leçons de Gervinus, de Ranke, d’0. Mueller et de divers autres écrivains célèbres. Après avoir pris ses degrés universitaires à Gœttingue, il s’y ivra au professorat. En 1848, il se rendit à Leipsick, et il ouvrit des cours qui furent fort suivis. L’économie politique, la science des finances, l’administration, la statistique étaient (1) Abelardi app, in-4°. Lettre 21, p. 836. (2) Våy. notre Histoire de la philosophie en France pendant la moyen ge, t. Ier, chap. 6.

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  1. Hist. litter., t. 9, p. 863.
  2. Cousin, Œuvres inédites d’Abélard, Introduction, p. 97 ; d’Achéry, Spicilegium, t. 3, p. 448.
  3. Dans cet écrit, Thibaut d’Etampes lui dit : Non plus sapere quam oportet, sed sapere ad sobrietatem… In decretis namque Calixti papæ legendo invenimus, et inveniendo legimus : Si quis prædicat sacerdotem post lapsum carnis, per pænitentíam ad sacerdotatem dignitatem redire non posse, fallitur, nec catholice sentit. Si vero sacerdotibus post lapsum carnis licet ad sacros ordines reverti, multo magis innocentes illos, qui ex lapsu carnis orti sunt, sacris licet ordinibus insigniri… Si enim filius sacerdotis honeste vivit, ordinandus est. Si vero militis filíus inhoneste vivit, repudiandus est : quia magis placet Deo vitæ perfectío, et contra peccatum afflictio, quam superba de legitimis Parentibus gloriatio. — D’Achéry, Spicileg., t. 3, p. 448. 449.
  4. Abelardi opp., Epistola XXI ad G. Parisiniensem episcop., p. 385.