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des morceaux les plus précieux pour en décorer l’enceinte du Panthéon et le cloître de St-Jean decollazo. Ils.en éloignaient par là tous les peintres vivants qui n’osaient pas suspendre leurs tableaux a côté des chefs-d’œuvre des anciens maîtres ; Salvator seul eut le courage de les braver en aspirant au dangereux privilége de se mesurer avec eux. Ce fut alors que son pinceau enfanta des prodiges : il ranima la cendre de Pythagore, qui reparaît au milieu de ses disciples après avoir conversé avec les ombres d’Hésiode et d’Homère. Il montra ce philosophe sur le bord de la mer, achetant de quelques pêcheurs le droit de rendre la liberté à leur proie. Il évoqua les manes de Catilina, qui redemande à ses conjurés le serment fatal et remplit de nouveau Rome d’épouvante et de terreur (1). Il ranima le bûcher de deux martyrs, qu’une main invisible vient encore sauver du trépas (2). Il réveilla le spectre de Samuël, qui annonce à Saül sa chute prochaine (3) : « Un sujet aussi pittoresque convenait parfaitement à l’imagination vive et féconde de Salvator Rosa. La magicienne, d’une « figure hideuse et les cheveux hérissés, jette de « l’encens sur un trépied. Autour d’elle, on entrevoit des squelettes, des hiboux et divers « fantômes. L’ombre de Samuel, enveloppée « d’une longue draperie blanche, est debout et « immobile devant Saül. Ce roi, prosterné, écoute « avec étonnement la sinistre prophétie. Dans le « fond, on voit les deux guerriers qui, selon l’Ecriture, accompagnèrent Saül dans ce voyage. a Toutes les parties du tableau concourent à l’effet que le peintre a voulu produire. Le dessin « a quelque chose de sauvage et de fier ; le a coloris est sombre et pour ainsi dire mystérieux (4). » Ce tableau marque la maturité du talent de Salvator Rosa et le plus grand développement de son génie ; il signale aussi le terme de sa carrière. La mort vint le surprendre au milieu des applaudissements dont Rome entière retentissait pour lui. Il mourut des suites d’une hydropisie, le 15 mars 1673, à l’âge de 58 ans. Ses restes furent déposés à la Chartreuse qui s’élève sur les ruines des Thermes de Dioclétien à Rome. Un enfant, né d’une liaison clandestine avec une femme qu’il avait connue à Florence, et qu’il épousa dans ses derniers moments, hérita de son nom et de sa fortune, mais non pas de son talent, qui s’éteignit avec lui. Aucun de ses élèves n’eut la force de marcher sur ses traces ; c’étaient celles du génie qu’on admire, mais qu’on n’imite pas. Par une bizarrerie qu’il ne serait pas difficile d’expliquer, Salvator Rosa dédaignait presque le talent que la nature lui avait donné ; il s’affligeait de la renommée qu’il s’était (1) Dana le palais Pittl, xl. Florence. (2) Dane l’église de St-Jean des Florentin :, à Rome. (8) Au Louvre, ainsi que deux autres tableaux : l’Ange Raphaël et le jeune Tobie et un Paysan, ce qui porte à quatre le nombre des compositions de Salvator Rosa que pouaède notre musée. (4) Laudon, Annales du munie.

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acquise comme peintre de paysage. Un jour qu’un cardinal vint le visiter dans son atelier, il ne lui montra que ses tableaux d’histoire en disant qu’il ne peignait que la figure. Cependant personne mieux que lui n’a réussi à troubler l’air, à agiter et à éclairer les eaux, qu’il a exposées à tous les accidents et à tous les reflets dela lumière. Il a excellé principalement à représenter ce désordre majestueux qui rend la nature plus imposante et plus animée ; il l’a vue, sous cet aspect. plus en grand que les autres, et son pinceau lui a donné un›nouvel intérêt. Son imagination, ardente comme le ciel qui l’avait vu naître, se réfléchissait, pour ainsi dire, dans tous ses ouvrages : ses compositions sont pleines de chaleur et d’énergie. Il dessinait avec plus de grandeur que de correction ; ses figures surtout laissent à désirer un peu plus d’élégance ; mais sa touche est mâle, rapide et spirituelle ; elle porte partout la lumière, la couleur, l’expression et la vie. Ses ouvrages paraissent créés en un instant ; rien n’y sent la contrainte : une verve bouillante en vivifie toutes les parties. L’extrême promptitude qu’il mettait à faire ses tableaux l’a empêché quelquefois de leur donner un plus grand fini. Mais c’est cette facilité même qui est le garant le plus sur de son talent ; il en fallait beaucoup pour se prescrire une aussi grande sévérité de détails que celle qu’on voit dans ses tableaux. Un torrent se brisant sur des rochers, quelques arbres disséminés sur le rivage, une plaine aride, des monts sourcilleux. de vieux guerriers étendus sur le sable, lui suffisent pour produire le plus grand effet. Son style lui appartient tout entier ; il ne l’a emprunté à personne, et personne peut-être ne parviendra à l’imiter. Lors de son dernier séjour à Florence, il essaya de graver à l’eau-forte, et plusieurs de ses tableaux ont été gravés par lui-même. Malgré la sécheresse que l’on pourrait reprocher à son burin, il faut convenir que ses estampes ont tout le piquant de ses compositions originales. Salvator mit à ses tableaux un prix très-élevé : c’était moins par avarice que pour faire honneur à son art, car il ne se souciait pas de les vendre ; il dédaignait même les demandes et faisait peu de cas des acheteurs. Souvent, pour aiguiser leurs désirs, il exposait ses ouvrages au public en disant qu’il les avait faits pour lui-même. Il était très-désintéressé, mais il n’aimait pas qu’on marchandât ses tableaux. Il souffrait encore moins qu’on lui donnàt des arrhes : « Je ne sais pas ce que « mon pinceau sera capable de faire, répondait il à ceux qui lui en proposaient, et je ne vous « tromperais pas en vous disant qu’il ne le sait « pas lui-même dans ce moment ; attendez que « mon travail soit terminé et alors nous conviendrons du prix. » Ne se laissant jamais vaincre en générosité, il rendit un jour au connétable Colonna un blanc seing qu’il en avait reçu pour fixer le prix de deux tableaux, disant qu’il ne se