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il sacrifia bientôt cette faveur et cette position lucrative à l’intérêt exclusif de la science, qu’il faisait passer avant le sien. Libre désormais de toute sujétion et de toute entrave, ses travaux acquirent une si haute importance et son nom une telle autorité que l’Académie des sciences acheva ce que Colbert avait commencé. Elle élut et appela dans son sein Michel Rolle, qui devint tout aussitôt un de ses membres les plus actifs, les plus résolus et les plus remarqués. « Rolle, c’est encore Fontenelle qui parle, avait surtout la passion et le génie de l’algèbre ; il pénétrait avec une ardeur inouïe et un courage infatigable dans ses ténébreux abimes. » Cette vaillance sans repos, ce savoir entreprenant donnèrent un grand crédit et un premier rang à Michel Rolle dans les discussions intérieures de l’Académie, livrée à des luttes ardentes sur des questions controversées d’algèbre et de géométrie, et particulièrement sur les infiniment petits et la géométrie de Descartes, alors très-vivement attaquée et défendue. Michel Rolle s’y montra un athlète redoutable. Quand il arrivait à l’Académie, on sentait, suivant une autre expression de Fontenelle, « qu’il fallait se préparer à combattre ›. Il disait nettement et géométriquement son avis sur les ouvrages les plus célèbres, mais déjà vieillis et dépassés par les découvertes nouvelles et les progrès du temps. Rolle fut donc un de ces esprits fermes, intrépides, sagaces, intelligents adversaires de la routine, qui vont toujours à la découverte et sont vigoureusement armés pour les combats et les victoires de la science. C’est par là qu’il mérite d’être compté parmi ces hommes d’élite qui l’ont honorablement servie de leurs lumières et de leurs travaux. Les principaux ouvrages de Michel Rolle sont : Traité d’algèbre, 1684. in-4° ; Examen de la Géométrie de Descartes ; — Méthode pour résoudre les questions indéterminées de l’algèbre ; — Méthode pour résoudre les égalités de tous les degrés ; — Explications nouvelles pour former les courbes géométriques ; — Règles de l’algèbre, et un grand nombre de mémoires épars dans l’Histoire de l’Académie des sciences. Il se préparait à publier de Nouveaux éléments d’algèbre, lorsqu’il mourut le 8 novembre 1719 d’une attaque d’apoplexie, à l’âge de 67 ans. « Ses mœurs, dit encore Fontenelle, furent telles que les forment un grand attachement à l’étude et l’heureuse privation du commerce du monde. » Il eut Mairan pour successeur à l’Académie.

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ROLLE (Pierre-Nicolas), savant français, né à Châtillon-sur-Seine (Côte-d’or) le 17 juillet 1770, descendait du précédent. Rolle se destina d’abord au barreau, où l’appelaient l’exemple et les succès de son père, homme d’un rare mérite. Inscrit en 1792 au tableau des avocats de Dijon, la beauté de ses traits, la vivacité de son esprit, l’attrait et la distinction de sa personne le firent remarquer dès son début. Les événements politiques l’enlevèrent à cette carrière si heureusement commencée. Élu dans la même année 1792 capitaine des grenadiers par les volontaires réunis de l’arrondissement de Châtillon-sur-Seine, il suivit l’élan général et marcha à la défense de la patrie. Il était de la fameuse colonne infernale qui formait l’avant-garde de l’armée et occupa la Belgique. Rolle prit part aux événements mémorables de cette campagne et s’y conduisit en homme de cœur. Après les batailles de Famars et d’Anzin, et le siège de Valenciennes, où il fut blessé, il passa à l’armée des Alpes et continua à s’y distinguer à la tête de ces grenadiers bourguignons dont un soldat passé roi a dit : « Je les ai connus ; j’ai combattu avec eux ; c’étaient des braves! » Mais le goût des lettres et de l’étude, plus encore que la gloire militaire, possédait déjà le jeune capitaine. Rolle quitta le service pour rentrer dans la vie civile et se livrer à son irrésistible penchant. Admis à l’école normale en 1791, il assista en quelque sorte à la naissance de cette célèbre école. En 1796, il passa à l’école polytechnique pour y remplir les fonctions de substitut du directeur. Sa capacité et ses talents le désignèrent bientôt à de plus hautes fonctions. Nommé administrateur du département de la Côte-d’Or, titre qui précéda la création des préfectures, il voyait la carrière des honneurs s’ouvrir devant lui. Comme les deux Maret, Berlier, Frochot, ses compatriotes, ses collègues et ses amis, Rolle eût certainement conquis une éminente position. Mais il avait hérité de son ancêtre, Michel Rolle, le goût de la vie studieuse et libre. Comme lui, il n’hésita pas à lui sacrifier la séduction des brillants emplois. Conduit à Paris en 1804 par sa passion pour les lettres, il y contracta de charmantes amitiés avec les littérateurs et les savants en renom, se lia intimement avec Victorin Fabre, connut Millevoye, retrouva l’illustre Fourier, qu’il avait connu à ’école polytechnique. Ginguené, Tissot, Van Praet, les deux Quatremère, Jomard, Dacier, Daunou, Millin furent ses patrons et bientôt ses amis ; il prit part, sous leurs auspices, à la rédaction de la Revue Encyclopédique, au Journal des arts, à la Revue philosophique et au Mercure de France, justifiant l’honneur de cette collaboration par d’excellents articles de bibliographie et de haute critique. Nommé en 1810 conservateur de la bibliothèque de la ville de Paris par son ancien camarade Frochot, devenu préfet de la Seine et comte de l’empire, la passion de toute sa vie put enfin se satisfaire. Ardent et savant bibliographe, il mit au service de ses nouvelles fonctions une profonde connaissance des livres, un goût sûr et un infatigable dévouement. Sous son administration, la bibliothèque de la ville, s’enrichissant d’année en année, acquit une importance qu’elle n’avait pas avant lui et devint digne de la grande cité. Rolle donna désormais à ses études et à ses travaux un caractère plus sérieux et plus solide. L’Aca-