Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 36.djvu/304

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le Journal de Paris de rédiger, sur des notes qu’on lui faisait passer, un compte rendu des séances de la convention nationale. Il y montra beaucoup de talent et même de courage, notamment dans le numéro du 14 novembre 1792, où il traita la question de l’abolition de la peine de mort dans le sens de la justice et de la nécessité de sa suppression qui eût sauvé les jours de Louis XVI, dont le procès s’était ouvert la veille. Dans les numéros suivants, il ne laissa échapper aucune occasion de parler en faveur de l’infortuné monarque, et même d’attaquer la commune de Paris. Le 6 janvier 1793, dix jours avant la condamnation, il alla jusqu’à imprimer que, quoi qu’en eût dit Barére, « l’assemblée n’avait pas le droit de juger le roi ». Sorti momentanément de sa retraite, Rœderer ouvrit à l’Athénée un cours neuf et hardi qui fut annoncé comme devant être un « cours d’organisation sociale comprenant le droit public ou la politique, et les parties de la morale et de l’économie politique qui sont inséparables d’une théorie saine et complète de l’art de gouverner ». Ce cours fut interrompu de nouveau lors de sa nouvelle et plus longue retraite pendant la terreur. Après le 31 mai 1793, il lui fallut se cacher encore, et cette fois ce fut sans intervalle jusqu’au 9 thermidor ; il lui fallut renoncer à la collaboration du Journal de Paris, parce qu’il n’était plus possible, dans les gazettes, de parler contre les dominateurs de l’époque. Cette retraite avait été d’autant plus nécessaire que, dans son rapport du 5 octobre 1793 contre les députés prescrits au 31 mai, Amar plaça un paragraphe virulent contre Rœderer, à propos de sa conduite au 10 août. Rendu enfin à la liberté, il rédigea, pour le Républicain, un article contre le système de la terreur, que His, rédacteur de ce journal, fit voir à Tallien, lequel y prit le fond d’un discours qu’il prononça à la tribune le 11 fructidor an 2 (28 août 1794), et qui contribua beaucoup à faire adopter des principes de justice et d’humanité. Ce ne fut pas le seul service de ce genre que Rœderer rendit à Tallien, et aussi à Merlin de Thionville. Il serait trop long de rappeler ici toutes les brochures et les articles que la plume féconde de Rœderer enfanta à partir de cette époque jusqu’à son entrée dans les grandes fonctions de l’État, au 18 brumaire. Ce fut seulement le 28 janvier 1795 qu’il reparut dans le Journal de Paris, auquel il fournit tous les jours quelques articles piquants et remarquables, qui donnèrent à cette feuille quotidienne plus d’éclat, de vogue, et contribuèrent puissamment à déterminer une forte réaction contre le régime de 1793 et 1794. On distingua surtout les notices sur l’esprit public, qui paraissaient deux ou trois fois par semaine. On ne distingua pas moins la brochure qu’il publia, le 15 août 1795, sur les réfugiés français et les émigrés, où il invita à ne pas confondre les uns avec les autres. Après le 13 vendémiaire au II (5 octobre 1795), Rœderer fut obligé de cesser d’écrire dans le Journal de Paris jusqu’au 1er mars 1796. Cependant, la convention nationale ayant décrété la création de l’institut le 25 octobre 1795, il fut appelé a en faire partie dans la classe des sciences morales et politiques. Il avait été aussi nommé professeur de législation à l’école centrale de Paris. C’est à cette époque qu’il faut placer quelques débats avec Chénier, qui fut accusé dans plusieurs journaux de n’avoir pas défendu son frère, prescrit par Robespierre. Du reste, celui qui, en 1793, dans Caïus Gracchus, avait osé demander « des lois et non du sang ! » se vengea en vers spirituels dans son Epître sur la calomnie. C’était le droit des représailles. Le poete composa depuis une nouvelle satire contre son adversaire, ce fut le dialogue ingénieux qui a pour titre le Docteur Pancrace. La vengeance toutefois qu’exerça Chénier ne le rendit pas injuste lorsqu’il fit son Tableau de la littérature depuis 1789 ; il cita avec éloge, comme économiste et comme orateur, Rœderer, qui, plus tard, à ces titres en joignit d’autres non moins recommandables. Ce fut en 1796 que le rédacteur du Journal de Paris, ne trouvant pas dans cette feuille assez d’espace et d’occupation pour l’activité de son esprit, entreprit le Journal d’économie politique, qui parut tous les dix jours par cahiers de quatre feuilles in-8o. Là, il fit entrer plusieurs articles fort distingués et traita diverses questions avec cette finesse d’idées et cette rigidité de logique qui lui étaient particulières. Cependant le journal décadaire ne lui faisait pas négliger son journal quotidien ; il inséra dans ce dernier, le 25 juillet 1796, un article qui portait pour titre : D’un changement dans les rapports du gouvernement avec ses généraux. On y trouve une véritable prédiction sur l’entreprise qui, trois ans après, mit Bonaparte à la tête du gouvernement. Au 18 fructidor (4 septembre 1797), le rédacteur du Journal de Paris fut compris, par le ministre de la police générale, sur la liste des cinquante-quatre journalistes à déporter ; mais son nom, sur les instances de Talleyrand, alors ministre des relations extérieures, fut rayé et remplacé par celui de Perlet. Après le 18 fructidor, et sans renoncer à publier quelques articles dans ces deux journaux, Rœderer alla passer plusieurs mois dans les montagnes des Vosges, aux verreries de St-Quirin, dont il était un des actionnaires ; ce qui lui avait fait donner quelquefois le titre de gentilhomme verrier. Les débats du directoire exécutif et des conseils, l’agitation de celui des Cinq-Cents, et surtout les défaites récentes qu’avaient éprouvées nos armées, firent présager une catastrophe. Bonaparte arriva d’Égypte, et le 18 brumaire eut lieu. Tout le monde sait que, dès le commencement, Rœderer fut initié aux intrigues qui amenèrent cet événement. Il eut ensuite une part non moins grande au système de gouvernement