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culièrement à celle du procureur général syndic Rœderer. Malheureusement sa vigilance, son zèle et sa fidélité furent aussi mal secondés qu’il était possible » (Hist., t. 8, ch. 22). L’inutilité de ses démarches, au 20 juin, et les dangers que pouvaient lui susciter de nouveaux efforts n’empêchèrent pas ce magistrat de manifester, lors du 10 aout, sa persévérance dans les principes constitutionnels qu’il avait si honorablement signalés cinquante jours auparavant. Il passa la nuit du 9 au 10 dans le cabinet du roi. Dès sept heures du matin, les insurgés des faubourgs St-Antoine et St-Marceau assiégeaient les Tuileries, pour la défense desquelles aucune mesure n’était prise ; rien n’était prévu par les ministres ni par le roi. Rœderer a rendu un compte exact et complet de cette catastrophe du 10 aout et des événements qui, à dater du 20 juin, la précédèrent et l’amenèrent ; c’est le sujet de la Chronique du cinquante jours, rédigée sur pièces authentiques, publiée en 1832. Cet ouvrage curieux, et qui fournira pour l’histoire de précieux documents, éclaircit beaucoup de faits longtemps obscurs. Avant que d’engagement entre les défenseurs et les agresseurs du trône fût commencé, le fourreur général syndic descendit des appartements, et s’adressant à un bataillon de gardes nationales, qui seul était resté dans la cour royale pour la protection des Tuileries, il l’exborta à la résistance en cas d’attaque ; puis, s’adressant aux canonniers attachés au service de cinq pièces placées au milieu de la cour, en face de la porte d’entrée, il leur fit la même exhortation[1]. Ces allocutions ne furent pas écoutées ; les canonniers retirèrent les gargousses de leurs pièces en sa présence, et, en même temps, ils éteignirent les mèches et abandonnèrent leurs pièces. Dans une circonstance aussi fâcheuse, en vertu d’une délibération prise dans la cour même, et qui existe dans les registres du département de Paris, le procureur général syndic, accompagné de neuf des membres du directoire du département, se décida a remonter dans les appartements du roi. Rœderer l’invita à se rendre à l’assemblée nationale, seul refuge qui lui restât au milieu des dangers qu’il courait et qui croissaient à chaque minute. Louis XVI suivit ce conseil ; précédé du prince de Poix, capitaine des gardes, Rœderer marcha en avant et à gauche du roi, que suivaient la reine, madame Elisabeth, le prince royal, sa sœur et madame de Tourzel, puis les ministres. À la tête des administrateurs du département, le procureur général syndic ne tarda pas à se présenter à la barre, et il rendit compte des graves événements de la nuit et de la matinée (il était alors huit heures du matin). On remarqua dans le discours la phrase suivante, qui était d’une convenance parfaite : « La loi nous demandait la conservation du roi ; sa famille nous demandait la conservation de son chef. » L’accent de l’orateur était empreint de la douleur qu’il éprouvait. Aussi quelques journaux ne tardèrent pas à lui en faire un crime. Dès ce moment il fut l’adversaire de la commune et de tous les révolutionnaires violents. Attaqué avec fureur et par Robespierre et par Marat, cité par quelques Suisses devant le tribunal du 17 août, où il avait lieu de craindre d’être lui- même traduit ; cité, disons-nous, comme ayant passé leur revue dans la matinée du 10. ce qui était faux, Rœderer publia, du fond de la retraite où il avait échappé à l’arrestation, des Observations sur la conduite qu’il avait tenue, et notamment sur le parti qu’il avait fait prendre au roi de se retirer dans le sein de l’assemblée. On y lit cette phrase qu’on lui a tant reprochée et qu’on a eu le tort d’altérer : « Comme citoyen, j’ai considéré que le roi et sa famille étaient d’utiles otages dans une guerre entreprise sous leur nom, et nous tiendraient lieu d’un grand nombre de légions contre nos ennemis. » Voici l’explication que l’auteur a depuis donnée de ce passage, écrit dans un moment critique et sous le coup de la proscription : « Il est évident que je ne pouvais pas avoir eu l’idée de considérer le roi comme un otage, puisque, en le conduisant à l’assemblée, j’étais loin de prévoir les événements qui changèrent tout à coup la condition du prince et obligèrent l’assemblée de le déclarer orage pour le sauver de la fureur populaire. Sur quoi j’observe que, quand j’ai écrit cette phrase, la qualité d’otage était une recommandation en faveur de Louis XVI, et que, dans son procès, tous les députés qui votèrent contre la peine de mort se prévalaient en sa faveur de cette qualité. Elle était donc plus qu’inofl’ensive dans mon écrit. › Assurément conduire Louis XVI à l’assemblée, son asile naturel dans une telle catastrophe, c’était une démarche sage, puisque c’était le moyen de sauver à la fois le roi et les députés : le roi, de la fureur démagogique ; les députés, de la vengeance des Suisses et des défenseurs du château, s’ils avaient triomphé, ce qui était possible s’ils eussent été bien commandés et bien dirigés. M. Mignet dit dans sa notice sur Rœderer, lue, le 7 décembre 1837, à l’Académie des sciences morales et politiques : « Comme il avait donné l’ordre de la défense, il fut accusé par les vainqueurs d’avoir fait tirer sur le peuple ; comme il avait conseillé la retraite, il fut accusé par les vaincus d’avoir livré le roi à l’insurrection. » Proscrit nominativement depuis le mandat d’amener de la commune de Paris, Rœderer fut obligé, pour se soustraire à la mort, de se tenir soigneusement caché, depuis le mois d’août 1792 jusqu’après le 9 thermidor (27 juillet 1794), c’est-à-dire pendant deux longues années. Dans sa retraite, il se chargea pour


  1. Le nouvel état des Tuileries a changé ou même détruit cette ancienne distribution de la cour et des détails du Carrousel.