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ports essuyèrent qu’on reconnut un véritable talent. Le 24 mars 1790, il fit décréter que l’ordre judiciaire serait entièrement changé, et il attaqua encore à cette occasion, avec beaucoup de violence, les parlements, que Cazalès défendit avec une grande éloquence. Un autre jour, demandant l’établissement des droits d’entrée sur les frontières, il dit ironiquement que les employés suffiraient pour arrêter l’armée de Condé, qui servait déjà de prétexte aux plus virulentes motions contre l’ancien régime et l’émigration. Le 7 avril 1791, il sollicita des peines sévères contre les députés qui demanderaient des places aux ministres. On l’avait entendu quelque temps auparavant professer le même système, en insistant pour que les députés ne pussent accepter aucune fonction à la nomination du roi. Ce fut à la même époque qu’il s’opposa au départ de Louis XVI pour St-Cloud, et qu’il parla en faveur des nègres et des hommes de couleur, demandant pour eux l’exercice des droits de cité et tous les avantages des regnicoles. Le 22 juin, lorsqu’on apprit l’arrestation du roi à Varennes et les efforts que Bouillé avait faits pour favoriser son voyage, il provoqua la destitution de ce général. Après le retour du monarque, il appuya le projet qui lui donnait une garde particulière, assura qu’il ne s’agissait que d’une arrestation provisoire ; trouva, au surplus, que ce projet tendait à protéger le roi contre la nation et demanda qu’on préservât aussi la nation contre le roi. Lors de la prétendue révision de l’acte constitutionnel, il ne mérita point le reproche, fait tant de fois et si ridiculement à quelques-uns de ses collègues, d’avoir fortifié l’autorité royale ; on le compta au contraire alors comme l’un des défenseurs les plus zélés de la démocratie. Il avait voté auparavant pour que les juges, choisis par les électeurs, fussent amovibles et formassent un troisième pouvoir indépendant. Il fut aussi d’avis de l’établissement des jurés, même en matière civile. Dans toutes les circonstances, il vota pour la liberté de la presse. Lors de la scission qui s’opéra dans la société des Jacobins, à l’époque des événements du Champ de Mars, Rœderer passa au nouveau club des Feuillants ; mais il n’y resta que peu de temps et retourna bientôt aux Jacobins, où siégeait Sieyès, dont les opinions eurent toujours beaucoup de sympathie avec les siennes. On a placé, dans divers écrits, Rœderer sur la ligne un peu imaginaire qui séparait les révolutionnaires modérés des démocrates ; mais, que cette idée soit juste ou non, il est vrai de dire qu’elle caractérise assez bien sa cauteleuse prudence. En prenant cette position, que le soin de sa propre conservation lui avait indiquée plus que tout autre motif, il fit croire aux révolutionnaires les plus ardents qu’il pourrait être de leur parti, et cette considération les empêcha de le proscrire. Après la session de l’assemblée constituante, il resta à Paris et fut procureur général syndic du département, en remplacement de Pastoret appelé au corps législatif. Les royalistes constitutionnels, qui se souvenaient de ses opinions pendant la révision, virent cette nomination avec inquiétude. C’était, au reste, une des convictions du député de Metz que la monarchie seule convenait aux Français, et qu’il fallait qu’elle fût fortement constituée en faveur du monarque ; aussi le verrons-nous travailler de toutes ses forces aux événements du 18 brumaire, seconder les mesures constituantes du régime impérial, et plus tard, en février 1835, produire son Adresse aux constitutionnels. — Élu procureur général syndic du département de Paris, dont était président le duc de la Rochefoucauld, et qui comptait dans son sein Talleyrand, Beaumetz, Garnier et autres hommes de talent, Rœderer développa beaucoup d’habileté dans les affaires et montra quelque sagesse, quelque vigueur dans des circonstances difficiles. Le temps était critique, on était au commencement de l 792. Rœderer montra du courage, et alors le courage était rare et méritoire. Lorsque vingt mille personnes attroupées s’avancèrent, le 20 juin, par la rue St-Honoré, sous prétexte de présenter des pétitions, et assiégèrent réellement l’assemblée et le château des Tuileries, il se présenta à la barre avec le directoire du département, et, bravant les murmures des tribunes et l’improbation d’une grande partie du côté gauche, les cris de l’attroupement et la certitude d’être proscrit le soir même aux formidables clubs des Jacobins et des Cordeliers, il déclara aux députés que leur condescendance à recevoir journellement des multitudes d’hommes armés enlevait à la police et à l’administration le moyen de prévenir des attroupements qui, une fois formés et grossis, se trouvaient supérieurs aux forces constituées par la loi pour les dissiper. Il osa inviter l’assemblée à mettre enfin un terme à cette condescendance, à ne pas affaiblir plus longtemps la responsabilité de l’administration départementale. dont la prévoyance et les forces étaient nécessairement devenues à peu près illusoires. Le procureur général syndic, ayant échoué devant le corps législatif, fut réduit à protester (dans un rapport au conseil général du département) « qu’il regardait comme le comble de la démence ou de la scélératesse toute attaque contre l’autorité constitutionnelle du roi, et comme deux prétentions également cou ables, celle de gouverner le pouvoir exécutif) avec le canon du faubourg St-Antoine et le pouvoir législatif avec l’épée des généraux d’armée, estimant que la constitution pouvait seule sauver la constitution ». À propos des événements du 20 juin, citons l’opinion du ministre Bertrand-Moleville : « La justice, dit-il, m’impose autant que la vérité le devoir de consigner ici les éloges qui sont dus à la conduite de tous les membres du directoire du département de Paris, et particu-