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par emprunt forcé des contributions énormes sur les habitants et les négociants les plus riches, même sur les étrangers, faisant emprisonner, déporter ou fusiller ceux qui s’y refusaient et manifestaient des sentiments contraires à la révolution. Le 3 septembre, Riégo partit de Malaga avec environ 2 500 hommes ; et, se dirigeant vers les cantonnements de Ballesteros, il atteignit les avant-postes le 10, à la pointe du jour, après avoir été vivement harcelé par les colonnes françaises. À son approche, Ballesteros, se jetant au milieu de ses tirailleurs, fit commencer le feu d’une manière vive, et bientôt le lieutenant-colonel Luke, aide de camp du héros de las Cabezas, tomba mortellement blessé. Mais tout à coup, comme l’infanterie se mettait en ligne pour engager une action générale, les soldats de Riégo, à un signe de leur chef, baissent les armes, jettent leurs schakos en l’air, et s’avancent pour embrasser ceux de Ballesteros aux cris réitérés de « Union! vive Riégo! vive Ballesteros! vive la constitution de 1821! » À ces cris, les soldats de Ballesteros sont ébranlés, les deux partis se confondent, on s’embrasse en frères, et Ballesteros se trouve lui-même dans les bras de Riégo. Mais leur union fut de courte durée. Ballesteros, ayant déjà éprouvé le danger du contact de ses troupes avec celles de Riégo, ne réserva pour lui qu’un piquet pour sa garde et fit diriger ses soldats partie du côté de Lucena, partie du côté de Cabra. Pénétrant son dessein, Riégo fit entourerl’auberge où Ballesteros avait établi son quartier général et l’y retint prisonnier. Ce coup audacieux produisit un effet contraire à celui qu’il en attendait. Quelques-uns des officiers de Ballesteros crièrent à la trahison, et le général Balanzat ayant menacé d’employer la force pour délivrer son chef, la discorde se mit parmi les divers corps. Riégo se décida alors à relâcher son prisonnier. Abandonné par une partie de ses propres troupes et poursuivi par les Français, il chercha a gagner la Sierra-Morena pour prendre la route de Catalogne. À Jaen, où il entra le 12, on le reçut au son des cloches, au milieu des vivat. Attaqué le lendemain par le général français Bonnemain, Riégo s’efforce d’atteindre les hauteurs en arrière de cette dernière ville ; mais, vivement chargé par l’ennemi, il est poussé de position en position jusqu’au delà de Mancha-Real. Assaillies le 14 près de Jodar par le colonel d’Argout, les troupes espagnoles furent mises dans une déroute complète et se dispersèrent de tous côtés presque sans combat. Blessé et abandonné de ses soldats, dont une grande partie se rendit aux cantonnements de Ballesteros, Riégo s’enfuit déguisé avec trois officiers fidèles à sa mauvaise fortune. Il espérait gagner les montagnes de la Sierra-Morena, lorsque, épuisé de fatigue et de faim, il voulut descendre dans une ferme près la Carolina d’Arquillos. Reconnu et dénoncé aux autorités voisines, il fut arrêté par des paysans, ainsi que les compagnons de sa fuite, et livré aux Français, qui le conduisirent à Andujar, où il arriva le 17. La populace l’attendait dans les rues, menaçant de l’égorger si on tentait de le soustraire à la vengeance des Espagnols. C’était cependant dans cette même ville que l’année précédente il avait été porté en triomphe, qu’on avait illuminé et dansé toute la nuit sous ses fenêtres, et qu’on l’avait forcé d’accepter un sabre d’honneur. Il s’éleva bientôt à son égard un conflit de juridiction entre les autorités espagnoles et les généraux français. La question ayant été décidée en faveur des premières, Riégo leur fut livré et arriva sous escorte à Madrid le 2 octobre, presque en même temps que la nouvelle de la délivrance du roi. La certitude de son supplice semblait seule pouvoir empêcher qu’il ne fût à l’instant mis en pièces. Enfermé dans le séminaire des nobles, qu’on lui avait donné pour prison et où il fut tenu au secret le plus rigoureux, il n’en sortit que pour être traduit devant le deuxième tribunal des alcades de la maison royale (de Casa y Corte). On lui fit son procès, en vertu d’un décret de la régence, non comme à un lieutenant-colonel, chef d’une insurrection militaire au village de las Cabezas, crime qui entraînait la peine de mort ; non comme à un républicain de Saragosse ou à l’auteur des excès commis à Malaga et à Jaen, mais comme au député pour avoir voté à Séville la déposition du roi. « Il fut jugé, dit le marquis de Miraflores, en vertu d’une loi faite après coup et dont rien ne peut.justifier la rétroactivité, puisque le vote aux cortès ne fut pas nominal. En un mot, ce fut un véritable assassinat juridique commis bien gratuitement, car il était aisé de le condamner sans violer les lois ni les principes. » Ce fut vainement que Riégo déclina la compétence du tribunal des alcades, et qu’il écrivit ensuite au roi pour invoquer sa clémence. Le fiscal, dans son réquisitoire, le déclara atteint et convaincu du crime de haute trahison, requit sa condamnation au dernier supplice et la confiscation de ses biens, en demandant que son corps fût coupé en quatre quartiers qui seraient exposés dans quatre principales villes. Le 27 octobre, après avoir entendu la plaidoirie d’un défenseur nommé d’office, aucun avocat de Madrid n’ayant osé prendre sa défense, les alcades prononcèrent la peine de mort par le gibet et la confiscation de ses biens, mais ils rejetèrent les autres conclusions vraiment atroces du fiscal. Le 5 novembre, il fut conduit à la prison de la Tour, où on lui lut sa sentence ; Riégo fut ensuite amené dans la chapelle ardente avec deux moines chargés de le préparer à la mort, et le surlendemain 7, on le conduisit au supplice sur une espèce de claie traînée par un âne. On avait dressé sur la place de la Cebada une potence d’une hauteur démesurée ; il en monta péniblement l’échelle, et pendant qu’on lisait l’acte de foi, on lui passa la