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faisait alors une visite pastorale de son diocèse. Dominé par sa vanité et par un esprit inquiet et turbulent, Riégo, mécontent de se voir délaissé dans un poste qu’il considérait comme secondaire et au-dessous de lui, aspira, dit-on, à devenir soit empereur de l’Espagne, soit chef d’une république fédérative qui aurait été fondée dans ce pays. Prêtant l’oreille aux insinuations de Cugnet de Montarlot, ancien rédacteur d’un pamphlet périodique intitulé l’Homme gris, et qui s’était réfugié à Saragosse pour échapper au jugement prononcé en France contre lui, il eut avec cet homme et avec d’autres réfugiés français des communications intimes. Le résultat de leurs conciliabules fut : de tenter d’abord un mouvement en France, et d’en réunir les mécontents à ceux d’Espagne pour renverser simultanément les gouvernements des deux pays. Ce plan arrêté, Riégo quitta Saragosse et se rendit à Jaca, où la réunion devait s’effectuer, pour s’assurer de quelques troupes qui s’y trouvaient. Mais ses allées et venues avaient inspiré des soupçons au chef politique Moréda, et il les avait communiqués au gouvernement. Les proclamations de Montarlot furent imprimées secrètement à Saragosse, et l’exécution allait commencer, lorsque Moréda, qui avait découvert la trame, fit arrêter Villamor, l’un des complices (septembre 1821), poursuivre Cugnet de Montarlot, qui fut saisi quelques jours après, et ferma les portes de la ville à Riégo, que le gouvernement destitua de son commandement et exila à Lérida, où il ne se rendit, le 18 octobre, qu’après avoir menacé d’entrer de vive force dans Saragosse. Ses amis, voulant le venger, provoquèrent en vain un mouvement pour assassiner Moréda, qu’ils considéraient comme son ennemi personnel, parce qu’il avait fait son devoir. Lui-même adressa au roi, le 21 septembre, un mémoire virulent contre ce chef politique, qu’il accusa d’avoir mérité, en 1819, les faveurs du despotisme pour avoir dignement secondé les fureurs du barbare Ellio. « Lui ou moi, s’écrie Riégo, « nous devons expier nos forfaits par l’infamie de la potence. » À ce mémoire, il en fit succéder un autre qu’il envoya aux cortès, et dans lequel il osa demander qu’on lui accordât une garde de sûreté ou d’honneur. La conduite plus que légère de Riégo le faisait déchoir chaque jour davantage dans l’opinion même de ses partisans ; mais il n’en conservait pas moins un certain crédit, surtout dans les corps militaires, qui lui envoyaient des adresses, quoiqu’il n’eût aucune qualité pour en recevoir. Le 24 octobre 1821, jour de St-Raphaël, on s’attendait à un mouvement dans la capitale et dans les provinces. Les partisans de Riégo le commencèrent en effet à Madrid, en criant : Vive Riégo et le marteau! mais ils abandonnèrent leur dessein lorsqu’ils s’aperçurent qu’ils n’étaient pas secondés. Ils ne furent pas plus heureux à Grenade ; mais à Cadix le portrait de Riégo fut porté sur un char triomphal couronné de laurier, et l’on chanta des hymnes où on l’appelait « le héros de l’île de Léon, le plus grand des mortels ». Pendant ce temps, il parcourait la Catalogne, passant des revues, recevant des fêtes et débitant partout des homélies patriotiques. Quelques critiques essayèrent cependant de rabaisser son orgueil ; et dans une brochure qui parut à Madrid, au mois de décembre, sous le titre de Catalogue des héros qui ont victorieusement ouvert et continué la révolution, sa conduite et celle des prétendus régénérateurs de l’Espagne fut traitée avec une ironie sanglante. Sur ces entrefaites, les élections pour les cortès ordinaires furent faites dans presque toute l’Espagne, sous l’influence de la faction militaire, et occasionnèrent en plusieurs endroits des rixes sanglantes. Riégo fut nommé député par la ville de Pampelune, d’autres disent par la province des Asturies. Le 14 février 1822, le roi fit en personne la clôture des cortès extraordinaires. Avant d’ouvrir la session des cortès ordinaires, Ferdinand VII renouvela son ministère, et les choix qu’il fit déplurent aux exaltés. Ces derniers comptaient beaucoup sur les nouveaux députés qui avaient déjà manifesté des opinions peu rassurantes pour la sécurité publique. À peine nommé député, Riégo avait écrit à son compatriote Arguelles qu’il s’empresserait de suivre ses conseils et ses opinions modérées, qu’il était indispensable que les constitutionnels de 1812 fissent cause commune avec ceux de 1820. Cette profession de foi contribua à le faire élire président des cortès[1] ; et ce fut lui qui, le 1er mars, revêtu de son habit d’aide de camp du roi, répondit au discours de son souverain. Il y démentit ses protestations et s’empressa de choisir pour les comités les personnes les plus disposées par leurs idées à établir l’exagération des principes désorganisateurs que les cortès adoptèrent dans le cours de cette mémorable session, où Riégo ne fit cependant rien de bien remarquable. Le 11 juin 1822, il lut un mémoire sur sa conduite dans le gouvernement de l’Aragon et sur sa destitution, etc., et demanda que la commission de responsabilité fût chargée d’examiner s’il y avait lieu à accusation contre l’ex-ministre Félice. Le mémoire, renvoyé à cette commission avec les pièces justificatives, n’amena aucun résultat. Les gens impartiaux n’en demeurèrent pas moins convaincus de la conduite coupable de Riégo ; mais il fit parler de lui, et l’on a vu qu’il n’en laissait jamais échapper une occasion. Dès l’ouverture des cortès, une dissidence très-prononcée s’était manifestée entre les ministres et la majorité de cette assemblée. Il régnait une fermentation extrême dans les partis, divisés en

  1. Cette fonction ne dura qu’un mois ; mais le président exerce une très-grande autorité en ce que c’est lui qui fait le choix des membres composant les divers comités dont on connaît l’influence sur le résultat des délibérations.