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dans la soirée du 31 août, en entonnant lui-même, avec ses aides de camp, au théâtre de la Cruz, une chanson infâme évidemment dirigée contre le roi, dont le refrain était Traga la perro (gobe-la, chien), « en se démenant, dit le marquis de Miraflores, comme un chef d’orchestre qui dirige des choristes ». Cette chanson devint deux jours après, au théâtre du Prince, l’occasion d’une altercation fort animée entre le chef politique et Riégo, qui quitta brusquement la loge de la municipalité, d’après le refus formel de laisser chanter la Trago la. Les amis de Riégo profitèrent alors de son inexpérience et de sa crédulité pour l’entraîner dans un projet de conspiration, dont le but réel était le renversement du gouvernement et l’établissement d’une république ou d’un empire dont il aurait été le chef. Ce complot, qui devait éclater le 31 août, fut renvoyé au 3 septembre, jour du banquet patriotique donné en l’honneur de Riégo et où Quiroga refusa de se trouver[1]. Ce projet, ayant encore été ajourné, fut découvert. Les ministres, qui avaient de fausses idées sur Riego, voulaient se borner à lui intimer l’ordre de partir sur-le-champ pour son gouvernement ; mais Ferdinand VII eut assez de fermeté pour s’y opposer et pour déclarer que, d’après les preuves incontestables de la conduite séditieuse de Riégo, il le destituait de son commandement. Le 4 cette destitution fut annoncée officiellement, et on lui ordonna en même temps de se rendre en quartier à Oviedo. Velasco, gouverneur de Madrid, San-Miguel, aide de camp de Riégo, et les principaux meneurs de la Fontana de Oro[2] furent comme lui exilés de Madrid. Riégo hésita quelque temps avant d’obéir : il se présenta le 5 septembre à la barre des cortès pour y lire sa justification ou plutôt son acte d’accusation contre les ministres[3] ; mais, malgré le nombre de ses partisans dans cette assemblée, on refusa de l’entendre, et le ministre de l’intérieur Arguelles menaça même, dans cette fameuse séance, de dérouler des pages qui dévoileraient à tous les yeux la conduite de ce général, si l’on persistait à prendre sa défense. Toutes les motions faites en sa faveur ayant été rejetées, Riégo se détermina enfin à se rendre au lieu de son exil, et le 6 septembre il se mit en route pour les Asturies, à quatre heures du matin. Les six jours qu’il était resté à Madrid furent six jours de désordre et de crise. Il ne s’était point passé une seule nuit sans complets, sans desseins avortés, sans un tumulte permanent, sans que le gouvernement fût assemblé, et enfin sans que la garde fût constamment sous les armes. Dans la soirée du 6 septembre, jour de son départ, des troubles violents éclatèrent encore ; mais ils furent promptement apaisés, le ministère ayant enfin senti la nécessité de déployer quelque vigueur. En quittant Madrid, Riégo avait dépêché un aide de camp à ses compagnons d’armes de l’île de Léon ; mais ses lettres n’empêchèrent pas la dissolution de cette armée, devenue un sujet de scandale et de désordres. Dès son arrivée à Valladolid, où il entra en entonnant la fameuse Traga la, il adressa au roi une requête pour se plaindre de la conduite arbitraire et inconstitutionnelle qu’on avait tenue à son égard. Il demandait des juges et qualifiait les ministres « de galériens sortis des présides et abrutis par leurs fers ». Dans tous les lieux où il passa, il visita les révolutionnaires les plus forcenés et chercha avec eux à soulever les populations. Il était à peine arrivé dans les Asturies, que les cortès, en compensation de sa disgrâce, proposèrent de lui accorder, ainsi qu’à Quiroga, une dotation de quatre-vingt mille réaux à prélever sur les biens ecclésiastiques qu’on avait confisqués, sous le spécieux prétexte d’en employer le produit à l’extinction de la dette publique. Peu de temps après, une insurrection fomentée à Madrid força le roi, malgré le mauvais état de sa santé, de quitter l’Escurial et de revenir dans la capitale. Profitant de leur victoire, les libéraux ordonnèrent des arrestations et firent de nombreuses promotions parmi les généraux de leur parti. Riégo ne fut point oublié, et il obtint le poste de capitaine général de l’Aragon[4]. Le 8 janvier 1821, il fit son entrée à Saragosse, chef-lieu de son gouvernement, après une marche triomphale qui ne fut un instant troublée qu’à Calahorra, où il fut insulté et menacé même par le peuple. Ce fut à cette époque qu’il reçut la nouvelle que les cortès lui avaient définitivement accordé une dotation de quatre-vingt mille réaux (environ vingt mille francs) qu’il accepta après une feinte hésitation, quoique ses partisans prétendent qu’il la refusa. Enfin il fut dispensé de faire ses preuves pour obtenir l’ordre de St-Ferdinand. Des qu’il s’était vu à la tête du gouvernement de l’Aragon, Riégo avait cherché à mettre à profit sa position en se faisant orateur populaire. Il entreprit une tournée dans la province pour réveiller l’enthousiasme dans les villes et jusque dans les villages, où il voulait établir des clubs et propager des doctrines révolutionnaires pour servir de contre-poison, disait-il, aux exhortations de l’archevêque de Saragosse, qui

  1. On assure que les conjurés devaient se porter au palais en sortant de table, et, à nuit close, s’emparer de la personne du roi, etc.
  2. C’était un café de Madrid où se réunissaient les révolutionnaires les plus exaltés et où ils faisaient des motions incendiaires.
  3. La séance du 6 septembre, dans laquelle on lut l’adresse du citoyen Riego, c’était ainsi qu’il avait signé, fut extrêmement orageuse. Plusieurs députés en prirent prétexte pour préconiser les opinions les plus exaltées et pour se déclarer partisans des doctrines de Riégo, tandis que Martinez de la Rosa, dans un discours très-remarquable, se montra le défenseur le plus zélé de l’ordre et des lois.
  4. Il parut à cette époque un écrit anonyme intitulé Justification des excés imputés au général Riégo dans la séance des cortès du 5 septembre 1820. « Le ministre (Arguelles), dit-on dans ce pamphlet, qui ne prouve rien, a voulu trouver en Riégo un Catilina pour se comparer à Cicéron. »