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qu’elle eut à soutenir avec Furetière, qui s’était l avec peu de succès (surtout dans le genre élevé), approprié le travail de la compagnie (voy. Furetière). Le dictionnaire attendu si longtemps, et auquel Régnier avait eu tant de part[1], était sur le point de paraître. Il en avait rédigé la préface et l’épître dédicatoire au roi. Mais, pendant un voyage qu’il fut forcé de faire en Touraine, Ch. Perrault, Charpentier et quelques autres académiciens eurent assez de crédit pour faire préférer une autre préface et une autre dédicace à celles que Regnier avait composées. Régnier, justement indigné, fit sur les épîtres de Perrault et de Charpentier des remarques critiques quelquefois bien fondées, mais plus souvent trop sévères[2]. L’infatigable académicien se chargea ensuite de rédiger la grammaire qui devait développer les principes dont le dictionnaire n’était que l’application, et former avec cet ouvrage un corps complet de langue française. Il y employa, comme il le dit dans sa préface, « tout ce qu’il avait pu acquérir de lumières par cinquante ans de réflexions sur notre langue, par quelque connaissance des langues voisines et par trente-quatre ans d’assiduité dans les assemblées de l’Académie, où il avait presque toujours tenu la plume. » La grammaire de Régnier ne comprend que le détail des parties de l’oraison ; il se proposait de traiter à part de la syntaxe. Trop prolixe pour les élèves, elle n’est pas sans utilité pour les savants ; et, quoique peu consultée maintenant, elle n’en est pas moins une mine abondante que ses successeurs n’ont pas manqué d’exploiter. Une des parties les plus intéressantes de ce livre est le traité de l’orthographe. L’auteur y expose avec détail les divers changements proposés depuis J. Dubois (Sylvius) jusqu’à Lesclache, pour rendre l’écriture française conforme à la prononciation, et ce tableau n’a pas été reproduit en entier dans le travail beaucoup plus ample que Goujet a publié sur le même sujet (Bibliothèque française, t. 1. p. 76-132). La grammaire de l’abbé Régnier fut l’objet d’une critique assez maligne de la part du P. Buffier, à qui l’on doit une grammaire jugée meilleure que celle de Régnier (selon les Mémoires de Trévoux, octobre 1706). L’académicien fit au jésuite une réponse plus vive que solide, et dans laquelle il eut le tort de prétendre avoir toujours raison. D’Alembert conjecture que cette querelle dégoûta Régnier d’achever la tâche qu’il s’était imposée. Il revint à la poésie, qu’il n’avait pas cessé de cultiver, quoique avec peu de succès (surtout dans le genre élevé), et à la traduction, genre dans lequel il a mieux réussi. Régnier mourut le 6 septembre 1713, à l’âge de 81 ans. Il eut la Monnoye pour successeur à l’Académie. D’un caractère ferme et inébranlable dans l’amitié, d’une probité à toute épreuve et portant l’amour du vrai jusqu’au scrupule[3], Régnier n’eut d’autre défaut qu’un entêtement déplacé. Furetière dit que ses confrères lui avaient donné le nom d’abbé Pertinax. Outre des traductions italiennes du Panégyrique de Louis XIV par Pellisson, 1671, et de la Relation de Bossuet sur le quiétisme, 1698, in-8°, on a de Regnier : 1° Pratique de la perfection chrétienne, par Rodriguez, traduit de l’espagnol en français, Paris, 1676, 3 vol. in-4°[4], et souvent réimprimée depuis dans différents formats. Il avait entrepris cette traduction in la prière des jésuites. Il accuse les solitaires du Port-Royal d’avoir altéré le texte espagnol dans plusieurs endroits de leur version de cet ouvrage, et surtout dans le dixième chapitre du premier traité, où, dit-il, en parlant de la grâce, on prête à l’auteur des termes tout contraires aux siens. 2° Description du monument érigé à la gloire du roi par le maréchal de la Feuillade, avec les inscriptions, ibid., 1686, in-4°. Régnier avait composé toutes les inscriptions excepté celle : Viro immortali (voy. La Feuillade). 3° Le Poesie d’Anacreonte tradotte in verso Toscana, e d’annotatione illustrate, ibid., 1693, in-8° ; Florence, 1695, in-12, avec deux autres traductions d’Anacréon par Bartol. Corsini et l’abbé Salvini. 4° Le premier livre de l’Iliade en vers français, avec une dissertation sur quelques endroits d’Homère, Paris, 1700, in-8°. Dans cette dissertation il réfute les paradoxes des détracteurs d’Homère et de l’antiquité ; mais il prouve par ses vers qu’on peut admirer les anciens sans parvenir à rendre leurs beautés[5]. 5° Traité de la grammaire française, ibid.[6], 1705 et 1706, in-4° ; ibid., 1706, in-12 ; Amsterdam, 1707, in-12. L’auteur de l’approbation (Fontenelle) loue la netteté et la solidité qui règnent dans cet ouvrage. 6° Remarques sur l’article 137 des Mémoires de Trévoux, ibid., 1706, in-4° de 54 pages. C’est la réponse à la critique du P. Buffier ; on la trouve à la suite de la grammaire dans les exemplaires in-4°, avec la date de 1706. 7° L’Histoire des démêlés de la cour de France avec celle de Rome, au sujet de l’affaire des Corses, ibid. 1707,

  1. Barbier dit que Régnier a rédigé en grande partie la 2e édition du Dictionnaire de l’Académie française, imprimée en 1718 ; mais il est certain qu’il avait eu déjà beaucoup de part à la première, qui ne parut qu’en 1694, vingt-quatre ans après son admission dans ce corps littéraire.
  2. D’Alembert a inséré dans les notes de l’Éloge de cet académicien les Épîtres au roi de Ch. Perrault et de Chargentier, avec les Notes de Régnier-Desmarais. La Préface qu’avait composée Régnier et celle de Charpentier se trouvent gens le Recueil des pièces curieuses et nouvelles, La Haye, Moetjens, 1694, t. 1er, p. 627-678. Voy. le Diction. des anonymes, 2e édit., n°3744.
  3. Un jour qu’on le pressait de mentir en faveur d’un homme puissant : J’aime mieux, dit-il, me brouiller avec lui qu’avec moi.
  4. La traduction de la Perfection chrétienne de Rodriguez ne parut qu’en 1676, six ans après la réception de Régnier l’Académie française ; cependant l’abbé Sabatier dit que ce fut cette traduction qui lui valut sa place à l’Académie. (Voy. les Trois siècles de la littérature.)
  5. Despréaux parle avec un trop juste dédain de cette traduction. (Œuvres de Boileau-Despréaux, Paris, J.-J. Blaise, 1821, t. 6, p. 368, Lettre à Brossette du 8 septembre 1700.)
  6. L’édition de 1676, 2 vol. In-12, citée par Desessarts, Prudhomme, Feller, et même dans l’Histoire de la langue française, cet imaginaire. La Grammaire de Regnier parut pour la première fois en 1706, in-4°.